Ouverture de la saison lyrique toulonnaise : Viva l’opéra de vive voix
Le programme lyrique, en remplacement de Semiramide de Rossini, d’une durée d’1h45 sans entracte, se compose d’une petite vingtaine d’extraits d’opéra (de l’air soliste au quatuor avec chœur) dont le tiers sont justement des œuvres de Rossini. Un quatuor lyrique central, composé de deux mezzo-sopranos, Karine Deshayes et Teresa Iervolino, d’un ténor, Philippe Talbot et d’une basse Mirco Palazzi, est complété par la soprano Roxane Chalard, le ténor Camille Tresmontant et la basse Nika Guliashvili.
Le chef grec George Petrou, à l’élégance chorégraphique, installe le climat majoritairement festif et facétieux du spectacle. Il s’agit de fêter le retour de l’opéra sur les planches, et de sourire, par la musique, en dépit de la lourdeur du contexte. La phalange toulonnaise pépie et tournoie, notamment dans deux ouvertures : Le Barbier de Séville de Rossini, et La Grande-Duchesse de Gérolstein d’Offenbach, de manière à préparer et structurer le déroulement du concert. La musique sort de la naphtaline et repart, après un brutal coup d’arrêt.
La focale se porte sur le plateau vocal, avec l’impeccable prestation de Karine Deshayes. Sa posture, comme sa présence chantée, tient de la statuaire, aux plis souples et transparents d’un Bernin. Son expression soupire, ensorcèle (La Périchole, « Je t’adore Brigand ») ou proclame, sa technique trille et abat ses vocalises, en nuançant les vitesses (Semiramide, « Bel raggio lusinghier »), ou encore les couleurs (La Belle Hélène, « Ce n’est qu’un rêve »). La mezzo offre un florilège de possibilités lyriques.
À ses côtés, et de même tessiture, s’épanouit Teresa Iervolino, au jeu subtilement androgyne (Jules César, « Va tacito e nascosto », Le Comte Ory, « Je vais revoir la beauté »). Timbre au fondu cuivré, longueur de souffle, conception architecturée de la ligne, gestes scéniques irrésistibles font oublier les charmants petits flous dans sa prononciation du français.
Le ténor Philippe Talbot leur donne une réplique heureuse, tout en sourire et en douceur. Son timbre supporterait visiblement mal des amplifications en force, en particulier dans l’aigu de sa tessiture, ce que le chanteur parvient à éviter, en concentrant son effort sur une diction précise et énergique (La Fille du Régiment, « Ah mes amis »), y compris à grande vitesse (L'Italienne à Alger, « Se inclinassi a prender moglie »). Son compère, à la diction tout aussi affûtée dans ce dernier duo, est la basse Mirco Palazzi. La voix est bien placée, efficace et percutante, et sait user d’un registre de gorge prenant (Les Noces de Figaro, « Aprite un po' »). Sa manière de déboutonner et reboutonner sa veste, avant et après l’exécution, souligne l’importance du corps-instrument et la maîtrise qu’en a le chanteur.
Les trois derniers artistes interviennent de manière plus sporadique, ce qui n’est pas toujours facile, au sein de ce quatuor bien huilé. La basse Nika Guliashvili ouvre l’espace sonore vers de nouvelles profondeurs, notamment dans les attaques de ses phrases (La Calomnie du Barbier de Séville), comme pour ancrer le tournoiement de l’orchestre rossinien au mât de sa tessiture. À l’opposé, se tient la soprano Roxane Chalard, qui, avec le ténor Camille Tresmontant, n’a qu’un seul air pour exprimer la complexité émotionnelle du cantabile mozartien, respectivement dans La Clémence de Titus et Don Giovanni. Si la focale se déplace, c'est sur le caractère particulièrement irrésistible des duos réunis par le programme. Ils sont le cœur de réacteur de la dramaturgie d’opéra, comme si de ce face à face naissaient toutes les histoires, y compris celle de la musique.
Côté collectif, cependant, l’énergie est dans la couleur, souvent cuivrée, de la phalange toulonnaise. Le chœur, invisible, en fond de scène, enrobe d’un camaïeu sonore particulièrement équilibré les parties vocales solistes, comme s’il émanait de l’espace physique et sonore de l’orchestre : un résultat, qui tient d’un geste de mise en son et en scène.