Res Lyrica renoue le fil avec Ariane de Massenet
Sous la direction artistique d’Hervé Oléon, l’association Res Lyrica propose à l’Oratoire du Louvre une version concertante pour piano et cinq solistes (avec de nombreuses coupures, donc) de l’Ariane de Jules Massenet. L’œuvre, qui n’avait plus été jouée à Paris depuis 1937 (et en France depuis 2007 à Saint-Étienne) fait partie de ces nombreux bijoux trop méconnus figurant au répertoire du compositeur (Thais, Don Quichotte, Le Cid, Cendrillon, Hérodiade, etc.). Même sans orchestration, malgré une acoustique empêchant la compréhension du texte, ses richesses harmoniques, ses airs et ses ensembles (le duo entre Ariane et Phèdre de l’acte I, par exemple) témoignent de l’intérêt qu’il convient de porter à cette œuvre.
Dans le rôle d’Ariane, le public découvre la soprano japonaise Ayako Yukawa, à la voix centrale et souple, au timbre onctueux, aux phrases longues et à l’aigu rond. Tout comme son interprétation se nuance, son ferme vibrato se module, y compris au sein d’un même souffle. Sa voix même, très lyrique, s’affine pour dégager une émotion palpable à la fin de l’ouvrage. En Phèdre, Claire-Elie Tenet expose une voix claquante, mordante, tranchante, puissante et éloquente. Son phrasé dynamique démarre sur des attaques précises, son timbre de braise exprime la colère de son personnage.
Vaillant Thésée, Paul Gaugler s’appuie sur un ténor sombre aux aigus forcés. La ligne manque de stabilité malgré un souffle long au vibrato léger et une certaine poésie dans le legato. En effet, la voix est très couverte, ce qui lui confère un timbre luxuriant et résonnant dans le médium, mais cela altère ses aigus qui sont dès lors sourds et voilés.
Jiwon Song prête à Pirithoüs sa voix tonnante et sentencieuse, certes exigüe dans le grave mais plus ample dès le bas-médium jusqu’à des aigus implacables, qui emplissent l’espace de volutes tourbillonnantes, masquant au passage ses efforts de diction française.
La voix d’Alice Fagard en Perséphone manque sans doute de noirceur et de largeur vocale pour ce personnage infernal. Ses aigus sont larges, perçants et métalliques, son vibrato cérémonieux, ses phrasés étirés. Elle apporte de la profondeur à son personnage par ses nuances, ses résonances et ses rubati (bien suivis par le piano), exprimant tour à tour la colère le doute, la frustration, l’espoir.
Au piano, Charlotte Gauthier (masquée lorsqu’elle est isolée derrière son piano, mais pas lorsqu’elle rejoint les autres pour les saluts) se montre nuancée : percussive pour se donner l’ampleur d’un furieux orchestre, ou bien délicate dans ton toucher, ajoutant de la pédale pour rappeler les longs phrasés des cordes, offrant un épais tapis sonore aux voix amoureuses qu’elle accompagne. Le son tournoie dans l’église créant une ambiance mystérieuse. Le récitant Gabriel Mirété déclame la description faite du décor dans les didascalies du livret, par cœur mais avec micro, comme il déclamerait un poème, d’un phrasé théâtral. Malgré l’absence de chœur, le chant des sirènes résonne doublement, depuis un véhicule d’urgence passant devant le Temple, puis par les voix réunies des solistes féminins.
Encore une fois, les règles sanitaires sont scrupuleusement appliquées, y compris le maintien du public à sa place durant un très court entracte (inférieur à 10 minutes).