Finale Île-de-France du Concours Voix des Outre-Mer : un quintette de lauréats ultra-talentueux
Ce Concours se donne un double objectif complémentaire : révéler et soutenir des talents lyriques venant des outre-mers et apporter l'art lyrique dans ces territoires moins dotés en conservatoires et cours de chant que les régions métropolitaines. De fait, à l'image de ce double objectif, le Concours Voix d'outre-Mer est un double Concours, ou plutôt un concours et un radio-crochet sympathique. Les candidats se distinguent clairement en deux catégories : les chanteurs lyriques aux voix déjà façonnées d'une part et les autodidactes qui découvrent le chant lyrique comme une distraction et une curiosité d'autre part. Enfin, Edwin Fardini figure dans une autre catégorie encore, lui qui a déjà une carrière (dont nous rendons déjà compte depuis près de trois années sur Ôlyrix), remporte bien évidemment cette Finale régionale comme il remportera assurément la Finale nationale (à moins qu'un autre artiste professionnel ne participe à une autre manche régionale).
Les débutants s'attaquent crânement à des chefs-d'œuvre lyriques, depuis l'opéra baroque jusqu'à Wagner en passant certes par des chansons de Joe Dassin ou Laurent Voulzy. À ce titre et dans ce registre, Fabin Maillot plonge dans le bain avec la chanson Sang pour Sang de Johnny et David Hallyday, rappelant certes que ce répertoire peut être déployé sinon avec lyrisme, au moins avec un ancrage vocal puissant. Si l'aigu reste à affermir, le chanteur originaire de La Réunion et âgé de 20 ans a déjà un grave de velours et certains chanteurs d'opéra sont aussi friands que lui des décrochements dans l'aigu (qui doivent toutefois être parfois couverts dans ce répertoire). Le vibratello peine à tenir la justesse, mais le placement dans le masque (même sans) permet un déploiement généreux.
Dans un registre aussi métissé, Paloma Rivière (21 ans, Réunion/Martinique) fait de Summertime une berceuse ouatée avant de la métamorphoser en dansant et même en beat-box (pour le plus grand plaisir du rappeur Passy invité parmi le jury).
L'esprit World Music mène à des curieux mélanges, parfois plus pertinents qu'il n'y paraît. Ainsi "La Donna e mobile" est chanté comme une chanson populaire par Frédéric Moutoussamy (41 ans, Réunion) collant avec l'esprit du texte originel dans Rigoletto. Idem pour les couleurs Sévillane du "Deh, vieni alla finestra" chanté par Jason Firmin (28 ans, Martinique) qui présentait en premier morceau "Now Winter comes slowly" de Purcell pour montrer ses graves soufflés et ses longues tenues de note un peu tremblantes.
Viktoria Bordelai (Guadeloupe, 16 ans) surarticule "Caro mio ben" et montre le début d'un apprentissage volontaire, avec un port de tête seyant et même un début de vibrato (la justesse restant à trouver, à cause d'un souffle trop appuyé).
Ly-an Salin (21 ans, Guadeloupe) estompe ses graves mais file un aigu angélique sur des tenues mezzo piano dans l'Ave Maria de Gounod. L'Ave Maria encore, mais de Schubert, est chanté comme une prière par la plus radieuse (et juste) des voix prometteuses parmi les débutantes : Camille Schafer (22 ans, Martinique).
À l'extrême inverse, Claude Gabriel-Régis (47 ans, Martinique) présentée par son métier d'hôtesse de l'air s'envole vers les sommets les plus immenses d'un répertoire wagnérien avec Träume. La prosodie est travaillée mais l'essentiel est estompé par une succession de crescendi.
Ludivine Turinay (22 ans, Martinique) ancre "Piangero la sorte mia" d'une voix projetée dès le médium grave, résonnante et vers l'avant mais dont le médium aigu reste à adoucir en gardant l'ancrage. Elle assume toutefois la partie rapide dans un crescendo de vocalises et un très doux decrescendo. Elle brille en seconde partie avec Listen rappelant combien Beyonce exige de technique vocale, lyrique et surtout de music-hall.
Vanessa Cadasse (36 ans, Martinique) a énormément travaillé le timbre, la projection et le placement mais en délaissant totalement le volume et la masse sonore. La voix paraît ainsi démesurée (en attaques) dans un salon que pourtant elle n'emplit pas (en matière).
Auguste Truel (Haiti) n'a que 15 ans et pourtant l'élève de Conservatoire dans l'Aveyron incarne et assume déjà le personnage taquin de Figaro dans Les Noces (et la fonction de chanteur lyrique, donnant les départs de son "Non più andrai" au pianiste touche-à-tout Florent Hu). La voix de Truel est déjà très bâtie, cimentée en montées affirmées vers l'aigu.
Lyzah Harcher (37 ans, Guyane) saute d'intervalles en intervalles, d'un grave très soufflé à un aigu lyrique léger. Une grande richesse et tenue de souffle également au service du negro spiritual "Deep River".
Ruddy Minfir (36 ans, Guyane) ouvre le bal des chanteurs aguerris, avec le légendaire "Lascia ch'io pianga" impressionnant notamment avec le volume éclatant pour son registre de contre-ténor, qu'il sait conserver dans la justesse d'une douce voix tendre (le volume et le registre intermédiaires sont toutefois moins justes et la voix fatigue bientôt, beaucoup).
Axelle Saint-Cirel (24 ans, Guadeloupe) est la première des voix appelées à faire carrière, ce qui n'est pas étonnant puisqu'elle étudie au CNSM. Dans "Sorge nell’alma mia" (Imeneo d'Haendel), la voix est sûre et juste à travers toute la tessiture et un spectre de nuances affirmé, jusque dans les graves, glissant à peine dans les aigus. Le regard et le clin d'œil complice de Karine Deshayes et Richard Martet dans le jury témoignent de la qualité vocale changeant brusquement par rapport à la majorité des autres candidats.
Carole Dorlipo (42 ans, Guadeloupe) aurait été et pourrait également être indéniablement prête pour la scène. Malgré une voix très tubée (aux dépens des paroles), le timbre est dramatique et les phrases vibrantes, appuyées et lyriques dans la ligne, du grave à l'aigu affirmés.
Enfin, Edwin Fardini (25 ans, Martinique) remporte bien entendu le concours sans aucun débat possible (c'était déjà le cas pour la première édition lorsque la compétition s'était assurée la participation de Marie-Laure Garnier, qui poursuit une carrière à suivre sur nos pages). Sa victoire incontestable est en cela aussi juste qu'injuste pour les autres voix qui ne peuvent lutter avec un artiste à la carrière déjà lancée, une puissance vocale pleinement maîtrisée, une masse et un volume immense et pourtant riche d'une articulation savamment expressive. Il enchaîne même, après son air de Dardanus "Monstre affreux, monstre redoutable", en entonnant à son tour Deep River comme une démonstration, comme le bis du vainqueur déjà annoncé (sauf qu'en fait chaque chanteur interprète deux airs, et les 15 autres artistes repassent donc chacun son tour alors que les jeux sont faits pour une finale fleuve).
Bravant les pandémies, le Concours Voix d'Outre-Mer entend poursuivre son parcours, annonçant qu'il tiendra bel et bien ses Finales régionales dans nos autres territoires (après cette Finale Île-de-France au Salon Diaghilev du Châtelet) menant vers la finale nationale en janvier prochain à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (notre compte-rendu complet de la précédente édition). Fabrice di Falco (juste avant de prendre un avion pour Nice où commencent les répétitions d'Akhnaten) proclame même en maître de cérémonie les très grandes annonces de cette grande initiative qui fondera un Conservatoire des Antilles, affrétera une ligne maritime, dépêchera de grandes stars pour donner des master-classes (Karine Deshayes, Delphine Haidan, Philippe Jaroussky, Ludovic Tézier), et montera même une production lyrique : Les Contes d'Hoffmann (Offenbach), la forme proche du triptyque de ce chef-d'œuvre permettant d'inviter les lauréats des trois années du Concours. Cette annonce des Contes d'Hoffmann est aussi l'occasion de rendre hommage à Christiane Eda-Pierre qui en fut une interprète ultra-marine de légende (comme pour d'autres rôles).
Le projet Voix d'Outre-Mer soutenu par les Ministères et par Opera for Peace déclinera même ses actions en Afrique : les mers et les voix semblent sans limites !