Stéphanie d’Oustrac, récital théâtral vocal au Festival de l'Orangerie à Sceaux
Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan font une entrée dynamique et viennent se placer sur la scène haute de l’Orangerie, parmi les statues. La chanteuse présente les grandes lignes de son programme, butte sur certains mots, se reprend et avoue très honnêtement avoir le trac, expliquant qu’elle n’a pas chanté depuis sept mois (“Par contre, le trac il est toujours là lui !”) Le public rit et applaudit sa franchise tout en l’incitant à s’apaiser.
Après une grande respiration, l’artiste se concentre et entame la méconnue et très théâtrale Scène d’Hermione de Viardot. Elle enchaînera ensuite des airs variés, au gré de son assurance et de son aisance vocale, allant de morceaux intimistes comme les mélodies de Duparc (L’invitation au voyage, Chanson triste, La vie antérieure) ou de la Presle (Nocturne), aux scènes d’opéras comme Werther (Air des Lettres), L'Étoile (Chabrier) ou La Périchole (Air de la Lettre, La Griserie, Les aveux), en passant par des mélodies plus spectaculaires comme La Dame de Monte-Carlo (Poulenc).
La voix se chauffe sur les déclamations d’Hermione, mais déjà la rondeur du timbre, l’aisance dans l’aigu et la grande compréhension du texte en font une entrée en matière appréciée. C’est toutefois avec Duparc qu’un legato et un soutien plus stables se font sentir, permettant à l’interprète, et malgré quelques erreurs de texte, des moments d’une grande intensité artistique, riche en nuances et en couleurs. Ce n’est pas seulement l’implication corporelle évidente de la chanteuse, ni sa grande générosité si manifeste, c’est tout cela et ce quelque chose qui n’appartient qu’à elle : une façon de s’imprégner si vite des ambiances musicales et dramatiques des morceaux, une façon de mettre en avant un mot plutôt qu’un autre, toujours avec une grande intelligence et sans jamais pousser l’émotion à la complaisance ou l’effet à une faute stylistique.
La voix gagne en souplesse et en assurance durant les trois mélodies de Duparc pour proposer un air des Lettres de Charlotte à contre-courant de toutes les interprétations romantiques du rôle. Déjà, la chanteuse se refuse à rouler les “r”, apportant au texte une sobriété bienvenue, mais c’est ensuite toute la morosité et l’ennui du personnage qui le gagnent (et gagnent l'auditoire), notamment lorsqu’elle récite la première lettre (“Je vous écris de ma petite chambre”) avec une voix blanchie tout en retenue, le regard fixe et lointain comme à travers une fenêtre enneigée. Cependant, Stéphanie d’Oustrac n’est pas seulement cette Charlotte asséchée par son devoir, mais aussi une Périchole d’une ingénuité et d’une tendresse déconcertantes : qu’il s’agisse du geste, simple et juste, qui lui fait poser les deux mains sur son front pour ne pas pleurer pendant qu’elle avoue à Piquillo (dans une lettre toujours !) qu’elle le quitte malgré son amour (“et qu’il vaut mieux - Dieu que je t’aime ! - et qu’il vaut mieux nous séparer”) ou de son ébriété charmante dans l’air de la Griserie, ou encore sa passion amoureuse qui déborde de ses reproches lors de l’air des aveux : tout émeut et séduit, parce que tout fait sentir en permanence le grand travail effectué par l’interprète pour rendre avec autant de liberté les nœuds émotionnels des personnages et des situations.
À ce moment du récital, et accompagnée par un pianiste virtuose, respectueux et enthousiaste, l’artiste se permet tout : nuances colorées, sons filés, graves tantôt outrés tantôt sourds et mélancoliques, sans jamais révéler de faiblesse technique, sans jamais s’absenter du personnage ou de l’histoire incarnés. Les spectateurs applaudissent longuement et avec entrain une comédienne protéiforme et un instrumentiste qui, comme elle, sait transformer une partition en grand moment de théâtre. Les artistes remercient leur public en proposant plusieurs bis (alors qu’elle n’en avait promis aucun en début de soirée) : l’air des remparts de Carmen (Bizet), À Chloris de Reynaldo Hahn et, pour inciter les spectateurs à clore ces retrouvailles émouvantes, la berceuse de Manuel de Falla.