Vivaldi soignant et soigné au Théâtre des Champs-Élysées
Antonio Vivaldi eut à son actif plusieurs fonctions. Quelque temps prêtre (il était surnommé le prêtre roux), il assuma également le rôle de pédagogue au Pio Ospedale della Pietà. En tant que compositeur d’opéra, il tenait à s’occuper des moindres détails et assumait également les rôles d’impresario et de producteur. Ce soir ce sont les rangs des soignants qu’il rejoint tant sa musique contient une charge positive curative, très conseillée en cette période anxiogène. Les remèdes vivaldiens sont multiples et se présentent sous forme d’airs extraits d’opéras pour voix de ténor, soprano, contralto ou contre-ténor, dans une alternance régulière de tempi rapides et lents. Une bonne dose de vivacité rythmique avec deux pièces instrumentales (l’Ouverture de L'Olimpiade et l’allegro de la Sinfonia en sol mineur), à laquelle s’ajoute une floraison de mélodies expressives ("Vedro con mio diletto" extrait d'Il Giustino) dans une théâtralité omniprésente ("Gelido in ogni vena" tiré d'Il Farnace). Sans oublier la virtuosité au service d’émotions diverses comme la rage ("Non tempesta che gl’alberi sfronda" extrait de La Fida ninfa), la fureur avec l’air de Vagante de Juditha triumphans, les tourments de l’âme ("Alma oppressa da sorte crudele"), les désordres amoureux ("Se in ogni guardo" d’Orlando finto pazzo), et le désir de vengeance avec l’air "Il piacer della vendetta". Ces remèdes sont d’une efficacité prouvée. Tous les musiciens ont réagi négativement au test covid et peuvent donc tous partir en tournée en Espagne !
Les quatre chanteurs se partagent le programme équitablement en interprétant trois airs chacun. Ils se retrouvent ensembles pour le trio "Aure placide e serene" extrait de La verità in cimento, incluant la voix d’alto pour des effets d’échos. Le ténor Emiliano Gonzalez-Toro excelle à exprimer la rage et la fureur. Solidement campé, le regard méchant, il invoque l’orage, les flots déchaînés et la fureur des cieux d’une voix projetée et très accrochée (dans le masque !). Les vocalises vengeresses de l’air "Il piacer della vendetta" demeurent sans failles et puissantes sur toute la tessiture. L’air de Gualtiero de La Griselda lui permet de nuancer son chant de sons filés et de voix mixte tout en préservant l’intensité émotionnelle.
Lucile Richardot (contralto) incarne les rôles travestis de Perseo et Ottone dans une grande théâtralité agrémentée de multiples nuances. Sa voix puissante assied l’autorité du personnage d’Ottone ("Frema pur") et sa capacité à la moduler laisse entrevoir les fragilités du personnage. Les troubles d’Ottone n’en sont pas pour la chanteuse lors des longues vocalises implacables de l’air "Come l’onda". Sa sensibilité émane dans "Sovvente il sole" au cours de longs mélismes partagés avec le violon solo.
La soprano Emöke Barath est époustouflante dans les vocalises virevoltantes vers l’aigu de l’air de Licori extrait de la Fida ninfa. Elle assure également la tessiture plus centrale de l’air de bravoure extrait de Juditha triumphans ("Armatae face et anguibus"), rendant la fureur des vocalises. Son émission souple teinte d’un doux lyrisme l’air "Vede orgogliosa" (La Griselda).
Le chant de Philippe Jaroussky demeure d’une souplesse incroyable malgré une apparence quelque peu corsetée dans un costume trois pièces avec cravate et pochette que vient renforcer une posture maintenue les bras mi-levés. L’immense délicatesse de son phrasé et ses nuances pianissimi délivrent toute l’émotion de l’air "Vedro con mio diletto". Il est habité dans le tragique air de Farnace "Gelido in ogni vena", jouant avec l’intensité comme avec son vibrato et faisant entendre des aigus lyriques et des graves poitrinés sonores. Il conclut le concert avec l’air de bravoure "Se in ogni guardo" (Orlando finto pazzo) dans une agilité époustouflante et une projection affirmée.
Les quatre solistes sont en bonne compagnie avec l’ensemble Le Concert de la Loge que dirige Julien Chauvin de son violon. Il insuffle l’énergie rythmique et les dynamiques de la musique de Vivaldi, les instrumentistes répondant avec un son homogène et chaleureux. Julien Chauvin, chef heureux à plusieurs titres, est ravi de pouvoir réinvestir les lieux de concert, d’emmener toute son équipe en tournée et de partager la musique avec Philippe Jaroussky qui fut sa première émotion musicale (dans l’air "Tu m’offendi" extrait de La verità in cimento).
L’énergie de la musique de Vivaldi est telle que les applaudissements retentissent à un tempo plus rapide qu’à l’accoutumée et que le public crie « MERCI ! » aux artistes après deux bis (un arrangement sur le thème du Printemps et une adaptation d’un duo chanté à quatre). Viva Vivaldi !