Görge le rêveur, création française d'un chef-d'oeuvre
Un opéra longtemps endormi
Zemlinsky s'inscrit dans l'histoire parmi ces génies compositeurs et chefs d'orchestre, à l'image de Mahler, à cette différence près, cruciale et tragique pour la promotion de ses œuvres, que Zemlinsky, pourtant reconnu à la baguette, rechignait à diriger ses propres opus.
C’est déjà Gustav Mahler qui avait fait jouer le deuxième opéra de Zemlinsky Es war einmal (Il était une fois) à Vienne en 1900 -après son premier opéra nommé Sarema, la rose du Caucase sur un livret co-écrit avec un certain Arnold Schönberg. Zemlinsky doit même la commande de Görge le rêveur à Mahler, alors Directeur de l’Opéra de Vienne et qui devait diriger sa création en 1908. Malheureusement, Mahler démissionne en 1907 et son successeur Felix Weingartner annule Görge le rêveur. La partition est délaissée jusqu'à être enfin retrouvée dans les années 1970, exhumée parmi des archives de l’Opéra d’État de Vienne (qui aura donc commandé l’œuvre pour refuser de la jouer et échouer à en faire connaître l’existence). Görge le rêveur peut donc être enfin créé en octobre 1980 à Nuremberg et cette production de Nancy et Dijon célèbre, avec ce trentenaire, la création française de l'œuvre.
La réhabilitation de cet opéra et du catalogue de Zemlinsky est aussi récente qu'importante. Le metteur en scène Laurent Delvert souligne ainsi combien la rareté de cette œuvre, le fait qu’il s’agisse pour Görge le rêveur d’une création française est une “occasion formidable de s’inspirer du ressenti et non pas d’une iconographie déjà existante. L’œuvre parle dans toutes ses références fantastiques, de Gustave Doré à Walt Disney (Gaston dans La Belle et la bête en dessin animé est très proche du personnage de Hans dans Görge le rêveur), le tout dans l’esprit des contes, de La Belle aux bois dormant, Blanche-Neige et autres fantasmagories”. Le livret de Görge le rêveur, signé Leo Feld , s’inspire en effet de poèmes d’Heinrich Heine et du conte Le Royaume invisible (signé Richard von Volkmann-Leander). Leo Feld a aussi écrit pour l’opéra Der Ring des Polykrates (1913) de Korngold, Scirocco (1921) par Eugen d'Albert (qui a également composé Tiefland) et un opéra-comique de Zemlinsky créé en 1910 au Volksoper de Vienne et révisé pour Prague en 1922 : Kleider machen Leute (L'Habit fait le moine).
Pourquoi et comment une œuvre telle que Görge le rêveur a-t-elle pu être ainsi délaissée pendant tant d’années ? La raison est aussi à chercher du côté de sa complexité et dans la richesse de sa musique, de son orchestre et de ses voix, comme nous l’expliquent la cheffe d’orchestre Marta Gardolińska, le ténor Daniel Brenna ainsi que le metteur en scène Laurent Delvert : "C'est un opéra difficile à exécuter et à mémoriser car la musique de Zemlinsky est toujours surprenante. Cela en fait un vrai défi pour l'orchestre. Le rôle de Görge est très complexe également : il nécessite un très large ambitus, ainsi qu'une grande puissance préservant malgré tout un lyrisme rappelant l'univers du rêve, avec de longues lignes. Enfin, cela requiert un large effectif et donc un grand risque financier, pour un résultat inconnu puisque la version enregistrée contenait de nombreuses coupes", explique la cheffe.
Un compositeur au tournant du siècle et de la modernité
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le monde musical (comme le monde en général) est face à un tournant : celui de la modernité et du progrès. Est-il possible de faire toujours plus grand, plus vite et plus fort (comme le compositeur Schönberg au début de sa carrière qui démultiplie les ressources de l’orchestre et des voix dans les Gurre-Lieder) ? Faut-il tout révolutionner en cassant l’existant (comme Schönberg le fera dans les années 1920) ? Une autre voie est-elle possible, celle de Zemlinsky notamment ? Schönberg et Zemlinsky incarnent ainsi la dualité de l’avenir musical, deux destins d’autant plus opposés et gémeaux que les deux hommes sont indissociables : ils sont presque exactement contemporains, leurs œuvres sont jouées dans les mêmes concerts, ils sont même beaux-frères (c’est d’ailleurs à Schönberg que Zemlinsky confie dans une lettre dès 1902 le projet de son opéra Görge le rêveur).
Entre “rêve et réalité, naïveté et conscience, nature et civilisation, imagination et désillusion”
Alexander von Zemlinsky né en 1871 n’a que trois ans de plus que lui, il sera pourtant le professeur de musique de Schönberg qui commence en autodidacte. Bien que Zemlinsky fasse carrière en dirigeant notamment l'Opéra d'État de Prague, l’élève dépassera le maître en notoriété. Schönberg a en effet fait le choix alors porteur de la Révolution (avec le dodécaphonisme, un système musical conçu comme une machine de guerre contre la consonance), tandis que Zemlinsky propose une voie novatrice mais continue, un rêve, une voix onirique. Il lègue un merveilleux catalogue d’une petite centaine de pièces à ressusciter, dont Görge le rêveur, parmi ses huit opéras.
Le post-romantisme de Zemlinsky ne tourne pas la page du romantisme musical, mais le fait évoluer vers un autre courant esthétique moderne : l'expressionnisme. La musique savante européenne suivait un mouvement de croissance continue jusqu'aux immenses accords et orchestres romantiques de Wagner et Mahler, Zemlinsky ne renforce pas la dimension matérielle mais il en densifie la force d’expression. Zemlinsky trace ainsi une nouvelle voie pour la modernité musicale, avant que son élève, lui aussi trop méconnu, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), n'exporte leur esthétique à Hollywood. Alban Berg (l'élève de Schönberg) dédiera au maître de son maître (Zemlinsky) sa Suite Lyrique (1925), dans laquelle il fait même une citation de la Symphonie Lyrique de Zemlinsky.
Mettre en scène l'onirisme de Zemlinsky
L'histoire de Görge est celle d'un rejet de la sordide réalité pour partir dans une quête initiatique vers le bonheur, l'histoire d'un idéaliste confronté à la violence du monde (comme Candide, et à l'image du compositeur Zemlinsky lui-même). Mais comment mettre en scène une telle œuvre, fantastique et onirique, d’une insondable légèreté avec de tels enjeux ? “Avec beaucoup de joie” nous répond Laurent Delvert pour qui Candide de Voltaire a effectivement servi parmi de nombreuses références, dans son travail approfondi sur le texte fascinant de cet opéra : “Le livret écrit par Leo Feld pour Görge le rêveur de Zemlinsky est fort, formidable, d’une richesse incroyable. C’est une pièce de théâtre en soi et qui fonctionnerait déjà très bien sans musique.” Laurent Delvert a l’habitude de travailler sur une lecture contemporaine des pièces, “pour que le spectateur se retrouve face à un miroir de la société, qu’il puisse se projeter dans l’œuvre” comme il le fait avec les classiques (comme il l’a déjà fait avec Don Giovanni de Mozart). Görge le rêveur ne s’est toutefois pas laissé faire dans ce sens : “Cet opéra résiste fortement à une lecture absolument contemporaine, et à l’inverse regarder à rebours vers le début du XIXe siècle (et par exemple les guerres napoléoniennes) me semblait diminuer le drame, j’ai donc eu envie d’inventer une temporalité pour faire un voyage, dans le temps et le monde de Görge. La scénographe Philippine Ordinaire et la costumière Petra Reinhardt travaillent dans cette idée d’atemporalité, avec des silhouettes ni trop anciennes ni trop contemporaines. Le travail sur des matériaux comme les vareuses bretonnes ou de lourds pantalons permet par exemple de raconter quelque chose du passé tout en étant d’aujourd’hui.”
La poésie de l’œuvre doit aussi être rendue : le metteur en scène veut la “travailler au plus fin possible pour raconter cette histoire comme un conte. La musique et le livret nous emmènent immédiatement dans un monde fantastique. Travailler sur le rêve consiste à sublimer les images plutôt que de les prendre au pied de la lettre ou de manière radicale”. Un travail que la pandémie n’aura pas brisé : “Je crois au miracle, puisque cette œuvre a pu être ressuscitée, puisqu’elle nous narre une magnifique ode à l’amour et nous travaillons à ce que le miracle s’accomplisse, même si la situation est d’une complexité incroyable. En particulier pour parvenir, avec les protocoles sanitaires, à détailler la subtilité et la finesse dans cette œuvre. Souvent j’y souhaite du rien, du vide : des personnes qui se regardent, des corps qui se désirent.” Un travail que le metteur en scène, d’abord lié au théâtre et désormais aussi à l’opéra, peut faire avec les interprètes de cette production : “Nous avons la chance d’avoir une génération de chanteurs qui travaillent exactement comme des acteurs”.
Pour que cette œuvre combine ses différents univers (entre rêve et réalité), le travail scénique et le travail musical doivent se faire en symbiose et paradoxalement il s’est renforcé du fait du Covid-19 entre le metteur en scène Laurent Delvert et la cheffe d’orchestre Marta Gardolińska, menant à multiplier les échanges par visioconférences, confirmant les richesses communes du livret et de la partition. “Le travail est très riche, complexe, exigeant mais à la fin de chaque journée de répétition nous constatons encore et toujours combien cette pièce est merveilleuse, combien nous en sommes amoureux (et combien il est incompréhensible qu’elle ne soit plus jouée). Nous souhaitons que ce travail permette à Görge le rêveur d’entrer véritablement et de rester au répertoire : c'est un sujet passionnant s'inscrivant dans une histoire passionnante, porté par une musique absolument magnifique”, estime la Directrice musicale.
Une partition expressionniste
La scène s’ouvre devant un moulin à l'ombre d'un tilleul. Görge est lié dans l’opéra au pasteur (figure éternelle du rêveur bucolique qui garde les agneaux de Dieu) et au meunier (qui dort lorsqu’il compte les moutons). Le tout début de la partition de cet opéra confirme et renforce ces liens, l’héritage esthétique et la dimension onirique : les toutes premières notes de Görge le rêveur de Zemlinsky sont un clone du début de la Symphonie n°1 de Mahler (composée entre 1888 et 1903). Mahler ouvre sa première symphonie par une longue tenue sur la note la à quatre octaves d’écarts (la même note dans les graves et les aigus). Zemlinsky ouvre son premier chef-d’œuvre d’opéra par une longue tenue sur la note si bémol à quatre octaves d’écart. Zemlinsky grave ainsi littéralement dans la partition un hommage à Mahler dont il propose de continuer le travail (si bémol est la note immédiatement après le la).
L’hommage à la continuité ne cesse de se poursuivre : tout comme le fait Mahler dans ses symphonies, ces notes tenues sont l’écrin pour de très amples mouvements mélodiques (amples par leurs longues durées et par les grands intervalles qu’elles parcourent), le tout déployé sur une riche palette orchestrale et même une signature typique de Mahler : l’irruption du populaire dans le savant.
Le tout début de l’opéra composé par Zemlinsky représente immédiatement cette nouvelle voie, poursuivant vers une modernité sensible : en prolongeant l'héritage des grands maîtres de la Symphonie, tout en y insufflant une modernité onirique. Le rêve permet la superposition des univers, l’ensemble est moderne et l’effet sonore global est très novateur (menant vers d’apparentes dissonances), mais parce que le tout est composé de strates musicales (toutes très simples et très pures) comme autant de couches d’un rêve.
Mahler combine ainsi très souvent des mélodies enfantines avec un immense orchestre, de riches accords et complexes mouvements sonores. Zemlinsky poursuit dans cette veine les premières notes de Görge : les notes tenues se font bientôt un frémissement, puis une valse effrénée, illustrant le rêve doux, le rêve frissonnant et le retour à la réalité. Ce retour au réel est d’ailleurs matérialisé par la voix qui entre très tôt (à peine plus d’une minute) et dont les premières paroles sont Husch! Husch! (Ouste ! Ouste !). Cette interjection de Grete est destinée à un chaton, mais c’est aussi un clin d’œil de Feld & Zemlinsky servant à chasser une prose et une musique qui seraient trop simplistes (les onomatopées sont liées à la dissonance y compris de l’orchestre qui s’anime à ce moment), servant aussi à chasser l’idée d’une révolution totale (la suite du chant est très lyrique, moderne mais immédiatement belle). Cet univers est prêt à plonger dans le féerique.
Görge prend immédiatement la parole et confirme la richesse de cet opéra dans tous ses caractères (vocaux, dramatiques et thématiques), avec un chant très lyrique et consonant (mais balayant l'ambitus du grave à l’aigu dans une forte modernité), devant chanter des parties très intenses (alors que le livret lui demande "d'une voix douce et avec un air de mystère" en jouant d'une "manière suggestive très doucement"), plaisantant sur l’histoire du chat botté puis plongeant dans l’histoire d’une nuit profonde.
Le personnage principal et l’opéra parcourent une immense richesse expressionniste, via les expressions enchaînées : Görge d'abord plongé dans son livre passe ainsi rien qu’en cette première scène (et dans l'ordre de ses interventions successives) par : douceur, sourire, rire, "passion avec violence", puis dans la même intervention "toujours plus de passion", "exaltation toujours plus intense", "force emplie de nostalgie", "état d'exaltation toujours plus grand", "toujours plus véhément" et "force extrême" ! Le tout suivi par l'orchestre (dans un crescendo d’une intensité stupéfiante, autant qu’est rarissime un opus montant à de tels sommets en 6-7 minutes). Avant qu’il ne retombe immédiatement dans "un ton amer, pour soi, à voix basse", mélancolie, "tout doucement", à voix basse, "simplement" (l’orchestre redevenant alors bucolique).
Zemlinsky confirme ainsi sa maîtrise de l’orchestre (trois symphonies, trois suites de ballet, une fantaisie figurent à son catalogue), de la voix et de la poésie, lui qui a également composé sur des poèmes de Maurice Maeterlinck.
Chanter Görge le rêveur
Cet opéra est un conte de fées et aura bénéficié d'un héros venu à la rescousse d’une production en péril : en l’occurrence le ténor Daniel Brenna qui a remplacé le ténor initialement prévu (encore une terrible péripétie due à la menace du Covid) à la dernière minute, ou presque : Daniel Brenna a réalisé le miracle digne d’un conte d’apprendre ce rôle éprouvant de complexité en seulement 15 jours. De quoi impressionner et émerveiller ses collègues. Comment le chanteur a-t-il accompli cet exploit ? “Avec beaucoup de travail et très peu de sommeil”, nous confie l’interprète qui explique avancer notamment au mieux, en se réveillant à 3h du matin, dans le calme du monde et l’odeur du café. Daniel Brenna est coutumier du fait : il a déjà dû apprendre les dialogues de La Chauve-Souris et sa production scénique en 24 heures pour un remplacement, il a dû apprendre en trois jours son rôle et une mise en scène dans La Fiancée vendue. “Et encore, poursuit-il, j’ai beaucoup perdu par rapport à mes capacités de jeunesse : à 10-12 ans, j’ai fait mes débuts lyriques en Amahl (opéra de Menotti), ma mère me l’a joué une fois au piano et je connaissais ma partie. Maintenant il me faut un peu plus de temps et d’outils, c’est même la première fois que j’ai eu besoin d'aide, celle infiniment précieuse apportée par la cheffe d’orchestre et son assistant Michał Juraszek.”
Pourtant, même face à ce défi d’apprendre en un temps record une œuvre plus que rare, le ténor n’a pas hésité une seconde : "Pour la beauté du rôle et le besoin de remonter sur scène après ces six mois d’interruption brutale". L’artiste n’en minimise pas moins l’immense difficulté (et diversité) de son rôle sur le plan dramaturgique et de sa partition vocale, les deux sont d’ailleurs liés, bien entendu : “Dans le premier acte, Görge est un rêveur et les lignes se déploient amplement, tandis que dans le deuxième acte, il devient triste, en colère, désillusionné et la musique se fait alors chromatique, mais sans aller là où vous l'attendez.”
Un parcours très complexe à mémoriser. Heureusement les artistes peuvent se repérer grâce à des leitmotivs (rappelant l’héritage Wagnérien de Zemlinsky) et des cellules qui reviennent. Par exemple, le personnage dit plusieurs fois dans l’opéra “ce n’est rien” et à chaque fois la musique est identique. Ceci étant, ces répétitions qui donnent des repères peuvent aussi induire en erreur : il ne faut pas les confondre les unes avec les autres car la suite n’est pas identique.
Vocalement, le rôle est très exigeant et très riche, Daniel Brenna le compare en plusieurs points à Siegfried et Parsifal (qu’il incarne sur les plus grandes scènes à travers le monde) : “Ils ont un caractère à la fois simple et complexe, déployé par un grand lyrisme, demandant souvent de mener le son vers d’autres couleurs. Mais lorsque vous repérez bien ce qu’ils demandent en terme de puissance, alors ils deviennent confortables. Görge le rêveur me rappelle surtout un Laca dans Jenufa : un caractère triste et en colère qui défend la femme qu’il aime en tenant le monde entier à l’écart par de hautes notes dramatiques.”
Représenter un opéra en temps de pandémie
“La partition est d'un romantique très tardif, dans la lignée de Wagner, Strauss, et les Gurre-Lieder de Schönberg, confirme la cheffe d’orchestre Marta Gardolińska. Beaucoup du travail avec l'orchestre consiste donc à dire aux musiciens de ne pas prendre toutes les indications de nuance forte au pied de la lettre afin de conserver un équilibre avec le chant.”
Paradoxalement, là encore, le Covid-19 impose une solution à cette difficulté : afin de respecter la distanciation en fosse, l’effectif orchestral est réduit. Cette version a été écrite (puis étudiée par les interprètes) dans un court délai du fait des contraintes sanitaires, mais dans le respect de la partition, de ses couleurs et de ses styles : “C’est la partition comme Zemlinsky l'a écrite mais avec moins d'interprètes, affirme Marta Gardolińska. L'arrangement concerne notamment les bois et cuivres qui dans la partition d'origine sont très fournis et seront ici à un seul instrumentiste par pupitre.” L’arrangement pour orchestre de chambre a en effet été réalisé par un connaisseur : Jan-Benjamin Homolka, qui avait déjà réalisé l'adaptation pour orchestre de chambre du Nain de Zemlinsky représenté à Lille, Rennes et Caen.
“Ce sera une version plus intime mais très riche en couleurs (les percussionnistes seront très occupés) et nous gardons les signatures sonores de Zemlinsky (comme le glissando de trombones qu'il fut l'un des premiers à utiliser), explique la cheffe d’orchestre. Nous avons aussi trouvé tout un ensemble de solutions satisfaisantes, comme pour le quatuor de violoncelles avec son contrepoint très complexe et lent qui sera assuré par violoncelles et altos. Le tout dans le style de Zemlinsky et en se souvenant que les arrangements et réarrangements étaient très fréquents à l'époque : on trouve même des traces au crayon bleu de la main de Mahler qui en tant que chef changeait des éléments sur la partition de Zemlinsky. D'autant que Zemlinsky n'a jamais eu la chance d'entendre son œuvre et donc d'y apporter d'éventuelles corrections”.
Un thème actuel, voire universel
"J'aime que la fin reste ambiguë : on ne sait pas s'il s'agit d'une fin heureuse, car cela dépend du vécu de chaque spectateur, de la définition que l'on a du bonheur : d'un côté, il trouve une paix intérieure en vivant une vie normale, mais d'un autre il renonce à ses rêves. C'est un sujet universel", conclut Marta Gardolińska.
Le parcours de Görge le rêveur peut aussi se lire comme une métaphore de notre modernité, y compris de la tragédie qui touche actuellement la planète. Nous avons demandé au ténor Daniel Brenna de se prêter à ce jeu d’une lecture croisée et il nous explique tout d’abord combien le parcours de ce héros représente celui de l’humain en général : “D’abord rêveur comme nous le sommes durant l’enfance, il devient désillusionné comme nous à l’âge adulte mais il cherche à retrouver du sens, à récupérer cette vie d’autrefois, cette part de rêve qui l’a quitté. Un temps, il pense que la solution est de mener une révolution, mais ce n’est pas non plus sa solution. Il se rend compte de combien les apparences sont trompeuses et qu’il n’atteindra pas son but ainsi, mais en sachant redevenir rêveur. Je suis d’ailleurs heureux d’aborder ce rôle à ce moment de ma vie [Daniel Brenna a 50 ans, ndlr] car il y a 10 ou 20 ans, j’aurais été moins à l’aise pour m’identifier avec ce lâcher-prise, et même mon appareil vocal aurait été tendu par cette tension du personnage.” A fortiori avec le travail effectué par le metteur en scène Laurent Delvert qui veut “une forme moins réaliste d'opéra, poursuit son interprète : davantage distillée dans la vérité du moment, sans geste superlatif, sans aucun maniérisme lyrique. Mon personnage marche -littéralement- sur la ligne de crête entre lucidité et folie, entre les âges, entre les mondes.”
Un parcours sur le fil qui rappelle la situation actuelle, et permet de rêver à d’autres lendemains, qui en-chantent...
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