La Cenerentola de Rossini pour la RéGénération de l'opéra à Florence
L'événement créé en 2017 par un trio de producteurs britanniques (Maximilian Fane, Roger Granville et Frankie Parham), The New Generation Festival est un projet qui vise à mettre en avant des jeunes chanteurs et musiciens prometteurs (comme son nom l'indique), les vedettes du monde lyrique/classique de demain. Les temps exceptionnels exigent une solution identique : afin que la vie musicale et opératique puisse reprendre son cours suite à la crise sanitaire mondiale (et parmi d'autres, l'annulation du Festival du Maggio Musicale), une coalition culturelle florentine se forme pour répondre à une tâche aussi noble. C'est ainsi que la Galerie des Offices prête au festival ses lieux envoûtants, notamment les Jardins de Boboli, eux-mêmes attachés au Palais Pitti, remplaçant l'endroit habituel de l'événement, le Palais Corsini. Avec le soutien de la ville de Florence, les organisateurs reconfigurent le projet en ReGeneration Festival, un nom qui devrait diffuser le message de l'espoir et du renouveau. Reste à voir si ce nouveau format n'est qu'une incidence due au contexte actuel ou bien une solution pour les années qui viennent.
Avec un plateau presqu'entièrement épuré et des écrans vidéos en guise de décors (travail d'Étienne Guiol), le metteur en scène français, Jean-Romain Vesperini, créé les conditions indispensables pour diriger les acteurs sur un large espace scénique selon les consignes Covid : le respect des distances physiques entre les chanteurs est mis en place, avec un baiser des amoureux (Cenerentola et Don Ramiro) à travers une vitre.
Jean-Romain Vesperini situe l'action de l'œuvre à l'époque de Louis XIV, choix traduit par les costumes et perruques des personnages (costumes d'Anna Maria Heinreich) et par les images qui ornent la scène (parmi lesquelles la Galerie des glaces de Versailles). L'universalité que le livret propose n'est toutefois pas épuisée, au profit d'une surreprésentation plastique des aspects comiques du texte. Le buffa et grotesque est ainsi mis en avant par la juxtaposition des images multicolores et incongrues, par l'ânerie du personnage de Don Magnifico ou par le biais d'une danse ou d'autres mouvements ridicules sur scène. Les échos du fameux tube "Il Carnevale di Venezia" s'entendent dans la première entrée du chœur, avec lequel Vesperini transforme la scène en une liesse populaire.
Le plateau vocal est composé de jeunes artistes internationaux, virtuoses spécialisés dans le style belcantiste. Chose inhabituelle dans l'opéra, l'ensemble des chanteurs sont amplifiés afin de mieux résonner dans l'espace (la scène en plein air). La mezzo bulgare Svetlina Stoyanova endosse le rôle titre avec une petite dose de stress au début, mais qui diminue par la suite. Sa voix veloutée s'appuie sur les graves ronds et solides, faisant ressortir de son arsenal des fins passages d'un registre à l'autre, particulièrement remarqués. Elle achève sa prestation en apothéose avec "Non più mesta" qui dévoile son élasticité dans les vocalises et la beauté du phrasé.
Le ténor canadien, Josh Lovell chante Don Ramiro avec un élan juvénile et porté par un timbre lumineux et chaleureux. Il est adepte du phrasé belcanto, avec une intonation immuable tant en solos qu'en duos ou trios, à laquelle s'adjoint une prononciation de l'italien très convaincante. Les bravoures solistes, telles que l'exploit du diapason supérieur (à pleins poumons) sont immédiatement appréciés de l'auditoire. Son collègue Daniel Mirosław en Don Magnifico domine la distribution vocale par une immense voix charnue de baryton. L'émission sonore est souvent puissante, mais outre l'assise étoffée, il entonne (et étonne !) des aigus en voix de tête, avec même appui et ampleur. Par moments il perd du souffle en s'attaquant aux passages rapides, mais les mots sont savamment articulés et cadencés pour pimenter davantage son italien chanté ou récité.
Gurgen Baveyan (baryton) assure la partie du personnage bouffe de Dandini, qui fait l'entrée grotesque d'un prince doré chevauchant un cheval blanc. Il est sonore et sait bien dégager sa ligne, colorée au timbre plus clair par rapport à son homologue en Don Magnifico. Il campe les vocalises commodément et sans entraves, preuve d'un long souffle et d'une technique solidement forgée. Son autorité vocale n'est pas toujours en concordance avec le jeu d'acteur, celui-ci étant moins pertinent.
Blaise Malaba en Alidoro se montre présent mais par un son vacillant qui révèle les problèmes de justesse. Le manque de contrôle entraîne un chant excessivement vibré et les aigus trop poussifs. Le duo des sœurs de Tisbe et Clorinda (Monreal Marvic, mezzo-soprano et Giorgia Paci, soprano) presque indissociables sur scène, ne manque pas de montrer les qualités coloratures de leurs voix respectives. Les cimes sont exploitées avec aisance à la différence du domaine grave de la rangée vocale, nettement moins stable. Le jeu scénique est remarqué entre autres, par les effets comiques des rôles, comme un chant expressément faux et bien réussi.
Le jeune chef Sándor Károlyi dirige un ensemble de jeunes musiciens, l'Orchestra Senzaspine avec le chœur du festival (huit chanteurs). L'amplification de la phalange rend le son bien équilibré, où les instruments moins nombreux peuvent se distinguer plus nettement (tels les cors et les bois). En revanche, les changements rythmiques poussent certains à avancer dans tempo (la ligne de basse notamment), un désavantage pour les solistes qui se trouvent parfois derrière l'orchestre.
À l'issue de la représentation, les mélomanes montrent leur plaisir à retrouver progressivement la Renaissance (post-covid) de l'opéra dans cette ville toscane qui d'ailleurs, il est bon de le rappeler, vit naître le genre d'opéra en 1598 par Jacopo Peri justement à l'époque de Renaissance !