Lise Davidsen, le lyrisme scandinave en direct de son Palais d'été (4ème récital Met Star Live)
Le Metropolitan Opera House a beau être fermé à New York jusqu'à la fin de l'année, il continue de rythmer l'actualité musicale avec sa série de récitals retransmis en direct deux fois par mois. Les plus grands artistes lyriques proposent ainsi un concert dans des lieux d'exception de leur patrie.
Jonas Kaufmann avait inauguré la série dans l'Abbaye gothique devenue baroque rococo à Polling (en Bavière, non loin de sa ville natale de Munich), puis Renée Fleming avait signé son retour en Maréchale dans l'historique Dumbarton Oaks à Washington D.C. La série offre un grand écart pour ses deux rendez-vous suivants : passant du duo enflammé de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak sous le soleil de la Côte d'Azur à ce salon dans la résidence du Roi Oscar Ier, dans le fjord de Frognerkilen, sur la péninsule de Bygdøy.
Le programme de ce quatrième concert ne pouvait commencer autrement que par “Dich, teure Halle” (interprété par Elisabeth dans Tannhäuser de Wagner), aria-signature de Lise Davidsen, qui l'accompagne tout au long de sa carrière. Comme la chanteuse l'explique elle-même juste après l'avoir entonnée ce soir, cette aria était l'horizon vers lequel devait mener sa voix dès son apprentissage (selon sa professeure de chant) et c'est en effet avec cette aria qu'elle triomphe sur des scènes internationales et concours de chant (faisant avec ce personnage ses débuts au Festival de Bayreuth, l'année dernière en ouverture : notre compte-rendu).
Lise Davidsen avait avant cela remporté en juillet 2015 le prestigieux concours Operalia et le mois suivant le concours Reine Sonja, grâce à cet air, qui la mena d'ailleurs dans la foulée à chanter devant la reine... et dans ce même lieu (la Reine Sonja qui s'entretient même avec Lise Davidsen dans une vidéo spécialement enregistrée pour ce récital du Met et diffusée après les airs d'Elisabeth) !
Lise Davidsen, poursuivant ce début de récital et cette voix royale, passe en effet comme elle le dit d'Elisabeth I à Elisabeth II (en fait, du premier air légendaire d'Elisabeth dans cet opéra au second air) : “Allmächt’ge Jungfrau”. La puissance vocale confirme le statut de soprano dramatique. Le lyrisme s'appuie sur sa puissance et sa tonicité, certes encore un peu tendues en ce début de récital. Mais le programme se poursuit en alternant à plusieurs reprises les lyrismes complémentaires de la grande puissance opératique et de la tendre mélodie scandinave. Cette richesse permet à la voix de se déployer piu lento et piu piano mais encore plus ample. Le lyrisme est aussi bien dans l'articulation accompagnant, sculptant le souffle large, vibrant progressivement. D'autant plus vibrant qu'elle explore alors ses graves avec grande délicatesse, liant vocal et suavité d'expression : dans cette nostalgie boréale qui paraît typiquement scandinave (trois mélodies de Grieg puis deux de Sibelius).
Le lyrisme repart ensuite de plus belle, mettant toute la puissance germanique, via la force nordique, au service du bel canto italien : Puccini et Verdi sont rarement aussi proches de Wagner et Strauss. “Sola, perduta, abbandonata” de Manon Lescaut et “Morrò, ma prima in grazia” d’Un Bal masqué composent un grand lyrisme montant vers des aigus puissants. L'acmé de cet air est l'occasion d'un double tour de force avec une immense vocalise passant du haut-aigu au bas-grave a cappella, avant une cadence puissante. Exactement comme Lise Davidsen passe de l'aigu vaillant au grave profond, en deux phrases sur “Es gibt ein Reich“ (Ariane à Naxos de Richard Strauss avec laquelle elle inaugurait le Festival d’Aix-en-Provence 2018), elle enchaîne ensuite les quatre Lieder opus 27 du même Strauss et son “Morgen !” en point d'orgue projeté vers le lointain.
Le récital se conclut dans une immense diversité, confirmant que le lyrisme de Lise Davidsen peut servir à bien des styles, entre le glissando d'un Broadway délocalisé dans un saloon (“Johnny” de Benjamin Britten), l'immense lyrisme viennois (“Heia, heia, in den Bergen ist mein Heimatland” Princesse Czardas de Kálmán ou encore “O lovely night!” de Landon Ronald, “When I have sung my song to you” d’Ernest Charles, “I could have danced all night” de My Fair Lady...). D'autant que le pianiste James Bailieu l'accompagne dans tous les genres, toujours aussi inspiré, dans sa respiration comme son jeu. Plongeant la tête sur le piano pour lancer de puissants accords colorés mais toujours précis, il la relève et la penche même en arrière comme pour reprendre respiration et inspiration. "Bravo James !" lui adresse Lise Davidsen. Brava Lisa !
De quoi confirmer la place de Lise Davidsen sur les scènes lyriques internationales et dans cette prestigieuse série mondiale de récitals.
Calendrier complet des prochaines retransmissions de cette série Met Stars Live (concerts payants au prix de 20$) :
12 septembre : Joyce DiDonato, en direct depuis le Fundació Hospital de la Santa Creu i Sant Pau à Barcelone, Espagne
24 octobre : Diana Damrau et Joseph Calleja, en direct depuis le Château de l’île de Malte
7 novembre : Pretty Yende et Javier Camarena, en direct depuis Zurich, Suisse*
21 novembre : Sonya Yoncheva, en direct depuis Berlin, Allemagne*
12 décembre : Bryn Terfel, en direct depuis le Pays de Galles*
19 décembre : Angel Blue en direct depuis New York City*
*Lieux précis à confirmer ultérieurement
[reporté au 23 janvier 2021] : Sondra Radvanovsky et Piotr Beczała, initialement prévu en direct depuis Barcelone
[reporté au 6 février 2021] : Anna Netrebko, récital initialement prévu depuis le Palais Liechtenstein à Vienne