Les Pêcheurs de Perles de Bizet à l’Opéra de Nancy se portent bien !
Pour cette nouvelle production des Pêcheurs de perles, Emmanuelle Bastet actualise l’œuvre, la plaçant de nos jours (les costumes et accessoires en attestent) sur une plage dévastée qui pourrait se trouver n’importe où. En effet, celle-ci, imaginée par Tim Northam, n’est caractérisée que par un écoulement d’eau en arrière-scène émettant un doux son de bord de mer, quelques pieux plantés délimitant les différents espaces scéniques et des plaques de tôle rouillées figurant le rocher depuis lequel Leila protège les pêcheurs par ses chants. Tels une fenêtre sur le reste du monde, les rideaux de fond de scène s’ouvrent et se ferment sur une toile colorée de bleu, de vert ou de rouge, selon que l’ambiance est à la fête, à l’espoir ou à la vengeance. Finalement assez minimaliste, la mise en scène laisse une large place aux performances dramatiques des chanteurs et du chœur qui incarnent une tribu de naufragés laissant couler l’alcool à flots. La direction d’acteurs de la metteuse en scène est à ce titre très réussie, chaque personnage, y compris dans le chœur, étant caractérisé de manière précise, renouvelant l’image que l’on peut en avoir des productions passées.
Ainsi, Vannina Santoni (lire son interview à Ôlyrix) incarne une Leila à la fois incandescente, fragile et sauvage. Tout juste aurait-on aimé distinguer de manière plus appuyée la rage qui anime la jeune femme lorsqu’elle maudit Zurga, après que ce dernier ait condamné son amant à mort. La soprano dispose de la délicatesse, de la candeur et de la nuance qui siéent au personnage : son passé de danseuse (au Conservatoire Georges Bizet, qui plus est !) se ressent dans la grâce de ses gestes et de sa démarche. Ses vocalises, qui gagneraient à être plus aériennes (notamment dans l’air « O Dieu Brahma », très beau par ailleurs), atteignent d’élégants piani qui débouchent sur des vibratos parfaitement maîtrisés. Son duo (« Ton cœur n'a pas compris le mien ») avec Edgardo Rocha, interprète de son amant Nadir, particulièrement réussi, laisse apparaître l’amour fusionnel et dévastateur qui s’empare des deux personnages et fait parcourir un frisson dans le public.
Le ténor uruguayen au timbre clair et à l'accent espagnol très léger atteint sans difficulté le contre-si de sa romance (« Je crois entendre encore ») et parvient, allongé sur le sol, à prolonger le plaisir d’une tenue de note exceptionnelle. La finesse de l’interprétation trouve sa limite dans les ensembles ou lorsque l’orchestre tonne, car la voix se trouve alors souvent couverte. Jean-François Lapointe, qui incarne le rival amoureux de Nadir, Zurga, est annoncé indisposé en début de représentation : un pupitre destiné au baryton Julien Véronèse attendra inutilement durant toute la soirée une éventuelle défaillance, Lapointe ayant décidé de tenter sa chance malgré tout. Bien lui en a pris car sa prestation reste très convaincante malgré une première intervention hésitante et une difficulté d’émission dans les graves qui gêne notamment son air du troisième acte. Chef bonhomme, fier et décomplexé jusqu’à la découverte de la trahison de Nadir, bien moins cérémonial que la représentation usuelle du personnage, il se mue sans perte de crédibilité en amant éconduit, jaloux et impitoyable dans la suite de l’œuvre. Enfin, Jean Teitgen enchaîne les rôles dans des répertoires variés (répertoire classique italien -voir notre compte-rendu de Don Giovanni à Rouen, répertoire baroque –voir notre compte-rendu de Persée au Théâtre des Champs-Elysées, avant d’aborder maintenant le répertoire romantique français), avec un talent sans cesse réaffirmé. Le Grand prêtre Nourabad est pour l’occasion changé en milicien frustré, cruel et menaçant, parfois un rien surjoué, preuve du plaisir que prend la basse à incarner un tel méchant.
La soirée est dirigée par Rani Calderon qui parvient à trouver les tempi mettant en valeur ses chanteurs. L’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy livre une belle interprétation, répondant mieux à ses indications que les chœurs de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, associés pour l’occasion, dont il n’obtient ni les nuances souhaitées, ni la cohésion et la cohérence rythmique nécessaires. Ces derniers sont toutefois auteurs de beaux tableaux comme leur puissante intervention pour l’arrivée de Leila, ou un finale d’acte II offrant une belle intensité dramatique et beaucoup de mouvement. Cette interprétation de l’œuvre de Bizet, dont de nombreux airs sont extrêmement célèbres mais qui reste relativement peu jouée, a suscité l’enthousiasme du public qui applaudissait encore une fois le rideau définitivement tombé.