Lucio Silla à l’Opéra de Versailles : une mise en espace et des étoiles vocales
Lucio Silla fait partie des opéras de jeunesse de Mozart (le compositeur a seize ans lorsqu'il le compose). Encore typique du style baroque (succession des récitatifs et des airs, sujet historique et moral) bien que déjà novateur (ajout de duos et d’ensembles, importance donnée au chœur, etc.), il laisse une grande place aux exploits vocaux. Afin de donner vie aux récitatifs dont la longueur est parfois handicapante dans une version concertante traditionnelle, le choix a été fait d’une mise en espace, tout à fait poétique au demeurant, confiée à Rita Cosentino. Ce dernier se révèle payant : les chanteurs évoluent sur scène autour de cinq paravents multifonctions qui font office à la foi de de décors et d’accessoires. L’utilisation de costumes, modernes, permet de caractériser les personnages. Un soin particulier est également porté aux éclairages : la scène est par exemple plongée dans une atmosphère rouge sang lorsque le dictateur Lucio Silla voit le désir de vengeance l’étreindre dans une cruauté morbide.
L’histoire en est la suivante : le dictateur romain Silla est épris de Giunia dont il a tué le père et exilé l’amant. Sa quête d’amour impossible au milieu des complots le conduira à abdiquer son pouvoir et à pardonner toutes les offenses. Car, comme Pharnace (dans Mithridate), Sélim (dans l’Enlèvement au Sérail), ou Titus (dans La Clémence de Titus), autres héros mozartiens, Silla fait preuve d’une grandeur d’âme hors du commun au moment de châtier ses ennemis tombés sous son joug, créant-là un retournement de situation inattendu. L’on regrettera d’ailleurs les coupes effectuées dans la partition, afin notamment de supprimer le personnage d’Aufidio (le conseiller de Silla), qui rendent certains passages dramatiquement bancals.
Franco Fagioli (© Thibault Stipal / Naïve)
La distribution est emmenée par un Franco Fagioli, contre-ténor star des scènes internationales, des grands soirs dans le rôle de Cecilio. Sa stature légèrement figée révèle l’ampleur du travail effectué pour maîtriser son diaphragme et son souffle afin de dérouler une partition des plus exigeantes. Passant d’un extrême de sa tessiture à l’autre, enchaînant les vocalises piquées, il déploie son timbre radieux, lui ayant valu le titre de « Voix soleil », si adapté au cadre de Versailles, lors de son passage au Festival d'Ambronay. Le contre-ténor délivre une prestation marquée par une grande finesse dans le phrasé. Si le chanteur est acclamé après son « Il tenero momento », l’un des airs les plus connus de l’œuvre, son chant final fait place au silence religieux d’un public retenant son souffle.
Incarnant son amante fidèle, Giunia, Olga Pudova, grande interprète de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée, excelle dans le jeu dramatique et les vocalises vertigineuses qu’exige son rôle. Elle parvient à donner de la crédibilité à la folie amoureuse du dictateur lorsqu’elle le maudit, lui jetant un regard provoquant de ses yeux de braises. La jeune soprano russe partage finalement l’ovation de Franco Fagioli, obtenant même des applaudissements démonstratifs de la part de la chef d’orchestre Laurence Equilbey. Remplaçant Paolo Fanale initialement prévu, Alessandro Liberatore incarne un dictateur torturé et proche de la schizophrénie. Sa prestance et sa voix puissante, légèrement en retrait dans les graves, lui donnent l’étoffe d’un dictateur. En affichant ses failles et ses doutes dès ses premières apparitions, il parvient à rendre le renversement de situation final quasiment logique. Le ténor, convaincant dans le jeu, paraît toutefois sur certains passages en décalage avec le continuo (piano forte et violoncelle accompagnant les récitatifs).
Olga Pudova (© DR)
Dans le rôle de Cinna, le compagnon de Cecilio, la jeune soprano Chiara Skerath (lire l’interview qu’elle nous accordée) fait merveille. Son timbre clair aux aigus cristallins et son vibrato soigné lui valent des vivats dès son premier air. Les vocalises dont elle ornemente ses airs avec raffinement semblent s’écouler avec facilité, tandis que les accentuations ponctuant son phrasé témoignent d’un réel travail et appuient un jeu d’une grande intensité. La pétillante Ilse Eerens incarne quant à elle Celia, la sœur et confidente de Silla. Ses vocalises la mènent avec aisance mais un certain manque de fluidité vers des notes suraiguës.
Chiara Skerath (© Gerardo Garciacano)
L’ensemble Insula Orchestra et sa directrice Laurence Equilbey sont admirables. Cette dernière, avec son habituelle économie de gestes, dirige ses musiciens avec une précision diabolique, notamment dans les attaques et les nuances, déployant la richesse des timbres de la partition mozartienne, dès l’ouverture conduite avec flamme. Le Jeune chœur de Paris, dont la prononciation est particulièrement soignée, est bien équilibré. Ainsi, la représentation offre de beaux tableaux, comme le finale de l’acte II durant lequel la tension musicale et dramatique atteint son paroxysme ou encore la scène de la prison où les deux amants, séparés par un paravent, voient leur amour transpercer la muraille. Cette mise en espace fut une réussite et l'on en redemande !
Vous avez vu la production : écrivez votre critique sur la page de la production !
Réservez vos places pour Les ténèbres et Miserere, prochaine production de l'Opéra de Versailles, donnée dans la Chapelle du Château.