Chant de la Terre confiné à Saint-Denis
D’un silence religieux émergent les sons épars de percussions, spacialisés. Placés dans la nef et dans le chœur, des automates frappent des objets de pierre et de verre, de métal, mais aussi un marimba colombien et toutes sortes de percussions plus traditionnelles. Grâce au travail de l’IRCAM, le compositeur de ce Prologue, Pedro Garcia Velasquez, actionne depuis un clavier la multitude de bras articulés, prolongés de baguettes aux embouts variés (cailloux, bois, ou embouts de xylophone ou de vibraphone plus traditionnels) : une synchronisation des temps d’activation permet, par la technologie, que tous les automates puissent produire leur son au même instant, quel que soit le temps nécessaire à la frappe de l’objet. Le son de ces instruments reste quelque peu écrasé, les robots n’ayant pas le rebond du poignet humain. Comme dans une forêt à l’aube, les sons résonnent, de plus en plus fournis, rejoints bientôt par les bruits d’animaux et le chant des oiseaux, rendus par les instruments de l’Ensemble Le Balcon (réparti de manière à respecter les règles de distanciation), dirigé par Maxime Pascal, avec Alphonse Cemin au piano. Puis, alors que la lumière s’estompe déjà dans la Basilique, le soleil semble également se coucher dans cette jungle musicale qui revient au silence.
La partition de ce Prologue s’enchaîne sans transition avec celle du Chant de la Terre de Mahler (dans l’orchestration de Schoenberg). Marianne Crebassa, prévue dans la version du concert qui devait se tenir en juin, mais bloquée en Autriche par le protocole sanitaire, est remplacée par Stéphane Degout (la partition pouvant être interprétée par une mezzo-soprano ou un baryton), tandis que Kévin Amiel (dont le chant était déjà capté en début de semaine à l’Eléphant Paname) assure la partie de ténor.
Stéphane Degout chante l’œuvre pour la première fois. De fait, il est penché sur sa partition : le son et l’émotion se perdent parfois dans l’immensité du lieu et la concentration du chant. Bien sûr, il s’agit d’une captation et le chant est projeté pour le micro et la caméra placés devant lui. Sa voix y est pour le coup enregistrée dans toute sa majesté, si reconnaissable par sa luminosité et sa couverture, aussi à l’aise dans les doux aigus que dans les graves soyeux. Elle se fond dans le son envoûtant du hautbois, simplement animée des soubresauts générés par le claquement des syllabes occlusives allemandes.
Kévin Amiel se lance dans ce cycle avec un souffle lyrique reposant sur une assise vocale bien enracinée. Le timbre chaud et dense qu’il façonne par des inflexions vocales sied à ce répertoire. Le phrasé est varié dans ses dynamiques et ses nuances, tandis que quelques légers défauts de justesse se font entendre sur l'attaque des notes.
Maxime Pascal dirige l’ensemble par de grands gestes alliant clarté et expressivité, prodiguant de l’attention à chaque musicien, se tournant pour haranguer les pupitres que les contraintes sanitaires ont placés derrière lui, dansant pour infuser son enthousiasme dans les coups d’archets et les accents de ses instrumentistes. Ces derniers se montrent aussi précis dans le Prologue qu'ils sont nuancés et virtuoses dans les Lieder. Après un nouveau silence tout juste rompu par le bruit d’ailes d’un volatile, les caméras s’éteignent et les applaudissements des personnes présentes résonnent. Les musiciens se congratulent par de chaleureuses accolades bien peu raccords avec la distanciation organisée durant le concert.
La captation sera retransmise par Culturebox et sur cette page à partir du 15 juillet, sur Mezzo pour huit diffusions du 15 août au 22 septembre. Le Festival de Saint-Denis reprendra quand à lui exceptionnellement à l’automne, dans une programmation dont l’annonce est imminente et à retrouver sur Ôlyrix.