Requiem pour un spectacle : Le Comte Ory à Monte-Carlo
Le Comte Ory de Gioachino Rossini créé à l'Opéra de Paris (Salle Le Peletier) en 1828 devait être représenté pour la première fois à l’Opéra de Monte-Carlo du 22 au 28 mars 2020 avec une soirée de Gala.
Le maestro Gianluca Capuano devait ainsi revenir dans cette fosse qui lui est familière avec une chanteuse qui ne l'est pas moins : Cecilia Bartoli avec laquelle il dirige l'Orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco. Cecilia Bartoli qui était ainsi appelée à triompher (dans le rôle de La Comtesse Adèle) une nouvelle fois sur ces planches après y avoir incarné Ariodante (notre compte-rendu), une nouvelle fois dans ce théâtre dont elle prendra même la Direction en 2023.
La mise en scène déjà vue à Zurich (vidéo ci-dessous) est signée Patrice Caurier et Moshe Leiser, duo qui soulignait dans notre interview la place centrale consacrée au travail des personnages et à la dimension musicale, de quoi faire s'épanouir le plateau vocal engagé pour l'occasion à Monaco, composé de noms bien connus sur nos pages : Maxim Mironov dans le rôle-titre de ce Comte Ory (ténor libertin qui brise sans honte les confinements, cherchant à séduire les femmes même au couvent lorsque les hommes sont aux croisades), la soprano Deanna Breiwick dans le rôle en pantalon du page Isolier (tout aussi amoureux de la Comtesse Adèle, mais aimé en retour), la voix de basse portée par Nahuel di Pierro devait asseoir l'autorité du Gouverneur, comme le grave mezzo de Liliana Nikiteanu le caractère de Dame Ragonde. Jennifer Courcier souvent appréciée pour sa douceur et la clarté du timbre, revêtait une nouvelle fois un tendre rôle de paysanne.
Enfin donc et non des moindres, pour incarner pour la première fois Raimbaud, l'inénarrable complice du Comte, Florian Sempey affûtait déjà l'esprit qu'il déploie désormais à travers le monde lyrique dans ce répertoire, buffa, rossinien. Le baryton français qui vante également le métier de ses collègues réunis pour cette production ("Les qualités de Maxim Mironov pour les rôles rossiniens ne sont plus à démontrer et il aurait été le parfait Comte Ory. Le gouverneur de Nahuel di Pierro était superlatif et bien entendu la Comtesse de Cecilia Bartoli nous aurait tous époustouflés", promet-il) nous confie combien il était "heureux de pouvoir enfin faire cette prise de rôle". La partie de Raimbaud n'est certes pas aussi longue et présente que Figaro (dont il est une référence actuelle) mais il "est incontournable pour le rossinien que je suis", confirme-t-il.
En soulignant combien "l'Opéra de Monte-Carlo était le cadre parfait pour ces débuts", il nous raconte le moment où tout a basculé :
"Nous avions tout juste terminé de mettre en scène l'opéra et commencions les filages. Je sentais que petit à petit la France prenait de plus en plus de précautions mais je gardais tout de même bon espoir pour notre production. Cependant le jour où il a manqué la moitié des artistes du chœur et que l'autre moitié portait des masques, j'ai vite compris que tout allait s'arrêter. J'étais bien évidemment déçu mais la santé avant tout ! La musique, elle, se soucie peu de ces crises et reste inconditionnellement présente pour nous soutenir."
Les regrets n'en sont toutefois pas moindres pour les artistes après des répétitions qui "se sont déroulées dans la joie et la bonne humeur avec un sentiment de camaraderie", pour une mise en scène que le chanteur français nous présente :
"Le parti pris était de placer l'intrigue à l'aube de la révolution sexuelle de 1969, où le puritanisme de la Comtesse devait rencontrer le libertinage et l'âme anti-patriotique de Ory et ses comparses. Les robes de nonnes étaient bien là (j'ai quelques photos des essayages qui sont drolissimes), Ory déguisé en ermite au premier acte, donnait ses consultations dans une caravane derrière des barricades puis au deuxième acte on découvrait l'intérieure vieillot, pincé et poussiéreux du château de la Comtesse où le drapeau français et un grand portrait de De Gaulle ornaient les murs."
De quoi nourrir de vifs regrets, mais le chanteur ne veut pas oublier tout ce qu'il a ainsi pu apprendre et apprécier, notamment avec ce duo de metteurs en scène : "Travailler avec ces deux monstres sacrés de la mise en scène d'opéra était un souhait depuis longtemps, nous confie Florian Sempey. Dès le premier jour de répétition, nous avons créé un grand lien de confiance et de respect. Pour ce qui est de mon personnage, ils ont beaucoup insisté sur le lien entre Ory et Raimbaud montrant une vrai complicité et un but identique qui est bien entendu celui de conquérir la Comtesse."
Au final, comme un symbole de la période actuelle, cette production (et toutes les prochaines que nous allons vous présenter) est un mélange de leçons et de regrets, d'interrogations et d'espoirs : "Qui sait, peut-être y aura-t-il une reprise ?" conclut Florian Sempey.
Une question qui se posera à tous les théâtres d'opéra qui devront faire leurs comptes et des choix contraints face aux déficits annoncés, choix que devront aussi faire les artistes. Choix qu'ils feront ensemble, espérons-le, car reprogrammer, décaler une mise en scène demande que le théâtre et ses interprètes le puissent, que tout le monde retrouve la place dans ses envies, dans le tempo de sa carrière, dans son calendrier, comme le public est en tout cas appelé à retrouver la place sur les sièges des théâtres.
Rendez-vous durant toute la période de confinement pour apprécier les spectacles et les artistes que nous n'aurons pas pu voir