L'Opéra Comique soigne l'angoisse confinée avec champagne et cabaret
Comme tous les médias sérieux, Ôlyrix -tout en enquêtant et questionnant les responsables- a transmis et continue de retransmettre les recommandations sanitaires du gouvernement et appelé à la responsabilité de chacun pour endiguer la propagation du Coronavirus qui entraîne à travers le monde décès et interdictions de rassemblements. Le concert auquel nous avons décidé d'assister samedi soir à l'Opéra Comique (alors que le seuil venait de passer à 100 personnes réunies au maximum en un même lieu et alors que nos déplacements sont réduits à zéro par ailleurs en raison des annulations dans tous les opéras et salles de concerts), afin d'informer le lectorat et de constater la situation était pour le moins édifiant quant à l'inadéquation entre les mesures sanitaires globales basées sur des chiffres-seuil et la situation concrète.
Le concert Porte 8 de l'Opéra Comique "Le cabaret d'Émeline Bayart - Affreuses, divines et méchantes" a en effet pu être maintenu car il se déroulait samedi 14 mars au soir, durant la parenthèse de 30 heures pendant laquelle les rassemblements étaient autorisés en dessous de 100 personnes. Autorisés à 99 quel que soit le lieu (sa taille, son aération, les produits de désinfection disponibles, les activités qui s'y déroulent), interdits à 101. Autorisés à 99 personnes ayant réservé, sans distinction aucune, sans vérifier leur connaissance des symptômes et gestes barrière, sans les leur rappeler non plus.
Entrant, se pressant dehors puis dedans le bâtiment par la Porte au 8 rue Marivaux donnant dans la petite salle Bizet, 80 spectateurs se retrouvent donc ici, infiniment plus proches et confinés que ne l'aurait été le public de la grande salle remplie, et à peine moins proches qu'ils ne le seront après le concert dans les transports en commun.
Rire et chanter à gorge et postillons déployés
L'Opéra Comique a donc pu réunir 80 personnes à moins de 20 cm les unes des autres, partageant des bouteilles de champagne entre inconnus, trinquant en immersion dans le spectacle d'une chanteuse qui passa la soirée parmi les rangs à quelques centimètres des spectateurs, déployant pleinement sa voix, gorge grande ouverte et raclée pour pleinement rendre l'esthétique des cabarets chansonniers du siècle dernier. L'interprète ne rognant rien de sa performance expansive et de son jeu, caressant sans vergogne les statues de la salle, laisse une belle trace de rouge à lèvres sur la barbe de Gounod, et embrasse même (ensuite) le crâne d'un spectateur ! avant de le caresser par deux fois (regrettant de ne "pouvoir faire davantage dans ces circonstances").
Le surjeu juste
Le Covid-19, ce n'est évidemment pas la guerre, il n'empêche que la soirée dans cette salle intime peu éclairée avait cette tonalité surréaliste d'un rassemblement en temps de conflit, une parenthèse enchantée de joie, de rires et de bonheur provocant dans la morosité ambiante. La comédienne-chanteuse Émeline Bayart offre pour l'occasion une prestation digne de son choix des morceaux (et réciproquement). Son cabaret "Affreuses, divines et méchantes" est un délicieux panorama de la chanson et de la femme à texte française, elle l'interprète entre Piaf et de Funès, parcourant toute une palette d'effets vocaux expressifs, maniéré, haletant, criard, des articulations démultipliant les personnages offerts, le tout au sein de chacune des chansons, toutes devenant un petit univers, un opéra miniature, a fortiori avec ces textes, saynètes-historiettes-sketchs tous plus délicieusement drôles et touchants (comme la chanteuse ce soir) les uns que les autres :
On a fauché la bague à Jules (misère et truanderie boulevard du crime), Tant pis pour la rime (pour calmer les douleurs on s'offre... des frites, pas des fleurs), Tout ça n'vaut pas la Tour Eiffel (qui permettait à Marie Perbost de remporter la Victoire de la Musique Classique le mois dernier), La concierge décadente rue de Bussy, "T'aurais pas dû j'ai recommencé avec ce Barbu", "Quoi vous parlez de vous pendre Aux branches de cet ormeau Mais vous savez bien Lysandre Que ça ferait peur aux oiseaux", ou encore Yes ! qui triomphait récemment à Paris et ailleurs égayent la soirée, égaillent les éclats de voix. Le pianiste Manuel Peskine tente aussi de donner de la voix, en français, anglais, allemand, ou espagnol mais surtout en s'accompagnant et accompagnant Emeline Bayart à travers tous les styles, danses et concerti.
Après un éloge de la gérontophilie, la chanteuse incarnant une noceuse plus que "pompette" (Je suis pocharde) finit par empoigner la bouteille de champagne d'une table et se doucher avec !
La salle fait un triomphe sonore au spectacle, le masque d'une spectatrice en tombe de joie après qu'elle a passé la soirée à le remettre en place, lorsqu'il glissait ou qu'elle le baissait pour boire sa coupe de champagne.
La salle et les téléphones se rallument, vibrent sous les notifications informant de l'interdiction de tout rassemblement.