Le Coronavirus, une catastrophe culturelle mondiale
Les chiffres se croisent, la catastrophe s’accroît : le nombre de personnes infectées par le Covid-19 à travers le globe dépasse les 130.000 (5.000 décès), entraînant des interdictions de rassemblements (5.000 personnes, puis 1.000 et désormais 100 au maximum en France et dans plusieurs autres pays).
Les impacts s'annoncent d'ores et déjà catastrophiques sur l'économie et la culture.
Les conséquences sont toujours plus rudes avec les fermetures des principaux lieux de culture dont les opéras et salles de concerts en mars et déjà souvent pour avril, à travers le globe (Asie, Europe, Amériques). Les contre-exemples ne cessent d'ailleurs d'étonner dans ce contexte, comme le Royal Opera House de Londres qui reçoit de nombreux commentaires liés à sa décision de maintenir ses représentations.
L'interdiction des rassemblements de plus de 5.000 personnes a été actée le 5 mars (prévue jusqu'au 31 mai) et les autorités sanitaires ont souhaité ne pas annoncer quelles pouvaient alors être les mesures suivantes (laissant les salles de concerts et la presse dans l'incertitude afin "d'adapter les mesures à l'évolution de la situation et selon les lieux clusters").
Les institutions ont donc dû réagir à l’arrêté du 9 mars 2020 interdisant les rassemblements de plus de 1.000 personnes. Certains opéras et lieux de concert ont alors décidé de fermer, mais la plupart a mis en place une organisation complexe pour maintenir l'essentiel des représentations avec une jauge abaissée : autant de décisions devenues caduques à peine annoncées, lorsque le seuil a été rabaissé à 100 personnes par le premier Ministre le 13 mars à 13h, alors que le Président de la République faisait une allocation télévisée la veille au soir à 20h (annonçant la fermeture des établissements scolaires à partir de lundi et des décisions d'ordre économique, mais ne mentionnant pas les interdictions de manifestations ou les mesures pour la culture).
L'heure est bien évidemment à la solidarité nationale et les établissements culturels suivent consciencieusement les instructions au jour le jour, en prévenant le public, les salariés et artistes dès que possible.
Cela étant plusieurs de nos interlocuteurs à des postes de responsabilité dans de grandes institutions musicales nous confient des difficultés de communication avec les tutelles. Deux points sont particulièrement problématiques et liés à la chaîne de responsabilité : les différentes strates d'interlocuteurs et d'autorités, avec de premiers messages manquant d'instructions précises.
De grandes institutions se sont ainsi senties contraintes d'annuler purement et simplement leurs activités en découvrant le discours du Président le soir même alors qu'il n'en donnait pas la consigne précise (et donc, selon certains, n'en assumait pas pleinement la responsabilité ni les conséquences). Elles ont été aussi étonnées d'apprendre que cette décision était en fait inéluctable suite aux annonces du Premier Ministre le lendemain.
Plusieurs salles nous disent désormais craindre des mesures encore plus strictes, après les élections municipales des deux semaines prochaines, et en redoutent terriblement la durée (ce qui demande à nouveau une incertaine réorganisation du travail, ou du télé-travail, mais sans même savoir précisément sur quoi travailler vu que les spectacles peuvent être annulés).
Les salles de spectacles et les artistes sont dans l'incertitude quant à la suite, mais elles ont une certitude : la situation sera catastrophique sur le long terme. De très lourds déficits immédiats sont causés par les annulations en raison du remboursement des spectateurs. Certains responsables appellent d'ailleurs autant que faire se peut à ne pas demander le remboursement ou pas immédiatement afin de soutenir les salles de spectacles, de la même manière que le Ministre de l'économie a demandé aux salles de spectacles de ne pas demander les remboursements aux producteurs autant que possible (en échange d'une reprogrammation la saison suivante) mais ces réactions restent marginales. Marginales comme les économies effectuées lors des annulations pour les institutions culturelles en droits d'auteurs ou quelques frais techniques, sachant que certains frais d'institutions culturelles risquent également d'augmenter (des artistes, personnels, orchestres, agents, ballets sont bloqués à l'étranger).
Suivront les problèmes de manque à gagner et de trésorerie : les différents opéras et salles de concerts doivent ouvrir en cette période leurs abonnements, qui risquent de fortement baisser, comme les ventes de places actuellement. Le manque à gagner sera également notable avec toutes les ressources annexes aux spectacles mais de moins en moins négligeables dans les budgets : boisson, restauration, vente de produits dérivés, programmes, visites, ateliers, etc.
Du côté des artistes, l'inquiétude (voire l'angoisse) n'est pas moindre, pour maintenant et pour demain. Si certains opéras négocient une indemnisation avec les artistes engagés sur de longues productions (comme le confirmait le nouveau Directeur général adjoint à l'Opéra de Paris dans notre interview), de très nombreux artistes, y compris de premier plan embauchés sur les plus grandes scènes, évoquent ouvertement sur les réseaux sociaux les cachets perdus. Surtout, la majorité des artistes vivent dans des situations doublement précaires (gagnant assez peu et de manière incertaine), subissant désormais une double peine. Perdre un cachet (sans parler de tous ses cachets sur plusieurs mois) menace leur subsistance immédiate mais également leur statut, avec l'épée de Damoclès des "507 heures" de cachet : en effet, les artistes et techniciens doivent avoir déclaré 507 heures d'activité en moins d'une année pour avoir droit aux indemnisations prenant en charge les périodes non rémunérées indispensables au travail de son art et à l'élaboration de spectacles.
Une Lettre ouverte a été publiée par un Collectif des Chanteurs Lyriques de France alertant sur les ruptures unilatérales de contrats, et demandant qu'aucune décision ne soit prise avant une clarification du cadre légal de la situation actuelle :
"- Sommes-nous dans un cas de force majeure ? Si oui, l’épidémie du Covid-19 caractérise-t-elle un « sinistre relevant d’un cas de force majeure » au sens de l’article 1234-4 alinéa 2 du code du travail ? Le cas échéant, cette disposition d’ordre public prohibe une rupture unilatérale du CDD à l’initiative de l’employeur sans indemnité au profit du salarié, nonobstant toute clause contractuelle contraire.
- Sommes-nous, en tant que salariés (même en CDD d’usage) éligibles à la procédure de chômage partiel annoncée ? Si ce n’est pas le cas, est-il juste que nous soyons exclus de la promesse de l’État de ne laisser aucun salarié perdre son emploi ?
- Comment seront décomptées les heures perdues dans le calcul de notre statut ?
- Quelles compensations aux pertes d’opportunités sont envisageables ?"
L'Association Française des Agents Artistiques (anciennement Chambre Syndicale des Agents Artistiques pour la Musique Classique) soulignant combien les agents sont également durement affectés, "fait appel à la compréhension du gouvernement et demande un engagement de la part des responsables politiques envers notre secteur, notamment avec la création d’un fond de dédommagement permettant d’assurer la rémunération des artistes et de leurs agents et la mise en place de mesures exceptionnelles concernant les délais de déclarations pour l’intermittence – le statut d’intermittent de chacun étant dorénavant en danger."
Le seuil de 507 heures peut-il être abaissé en cette période exceptionnelle ? Quelles mesures seront-elles prises pour aider -voire sauver- artistes et salles de concerts ? Autant de questions que nous avons posé au Ministère de la Culture, qui ne nous a pas (encore) répondu.
À savoir que le Ministère de la Culture nous renvoyait au Ministère de la Santé, ce dernier étant responsable de la gestion de crise et répondant effectivement à nos sollicitations. Le Ministre de la Culture, atteint par le virus, a déclaré continuer son travail à distance et son cabinet nous a également déclaré être pleinement au travail, avec les filières artistiques et les établissements culturels.