Fusionnels Roméo et Juliette à Bordeaux
Pas de costume, des éléments de décors conçus pour d’autres occasions : c’est bien une mise en espace de Roméo et Juliette de Gounod que propose l’Opéra de Bordeaux. Pourtant, le travail scénique de Justin Way est bien présent, au point que Christian Helmer, malade et remplacé au pied levé en Comte Capulet par Jean-Christophe Lanièce (présent à un pupitre à l’avant-scène), doit jouer son rôle en playback. La direction d’acteurs et l’occupation de l’espace scénique établissent clairement la pertinence de ce format hybride, rapprochant les coûts de production d’une version de concert, tout en conservant l’essentiel de l’intérêt théâtral.
À la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Paul Daniel obtient un souffle grandiose dès les premières mesures. Il sait aussi dessiner des lignes longues et langoureuses aux inflexions raffinées. Le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux démontre une grande cohésion dans le chant, la précision rythmique permettant une parfaite compréhension du texte, tandis que la texture sonore se fait charmante, bercée par les aigus renversants du pupitre soprano.
Déjà réunis dans le même ouvrage au mois d’octobre à San Francisco, Nadine Sierra et Pene Pati, montrent une belle complicité. La première en Juliette assied son interprétation sur une voix ductile aux souples trilles. Ses médiums sont veloutés, ses aigus cristallins, nourris d’un souffle long. Sa ligne vocale est légère et virevoltante, délicatement nuancée, sa scansion piquante et piquée. Son Roméo chante dans un excellent français. Sa voix souple au vibrato éthéré s’élève sans difficulté dans de clairs aigus, murmurés ou déployés. Il achève son air « Lève-toi soleil » d’une messa di vocce longue, ample et subtile, et le troisième acte d’une tenue de note phénoménale.
Après quelques interventions déséquilibrées par un vibrato mal contrôlé, Nicolas Courjal retrouve une projection large et structurée, un timbre noble, profond et chaleureux. Philippe-Nicolas Martin compose un Mercutio dynamique et charismatique. Sa voix clairement projetée tisse un phrasé éloquent aux accentuations vigoureuses et à la diction ciselée. Le timbre scintillant se montre chaleureux, s’affirmant corrélativement à la longueur des rôles confiés au chanteur depuis quelques saisons. Adèle Charvet met son mezzo chaud et soyeux au service du personnage de Stephano. Si la voix manque de volume, notamment lorsque la mise en espace la place en fond de scène, il en va inversement de l'abattage théâtral, enthousiaste et expressif. Thomas Bettinger campe un Tybalt incisif au phrasé percussif et au timbre chaud, très vibré. Son chant perd en justesse lorsque l’agressivité de son personnage prend le dessus et que le volume de sa voix est poussé.
S’appropriant le rôle du Comte Capulet au débotté, Jean-Christophe Lanièce expose une conduite vocale raffinée, ainsi qu’un timbre sombre et mat, voilé par une couverture trop prononcée. Louis de Lavignère (Grégorio) dispose d’une voix fougueuse aux résonances claire et rutilantes, à l’architecture solide dans ses interventions solistes, mais enfouie sous le chœur dans les ensembles. Dans le rôle de Gertrude, Marie-Thérèse Keller déploie une voix sombre et calleuse, à l’ample vibrato. Romain Dayez incarne un Comte Pâris élégant au clair baryton, bien projeté. En Duc de Vérone, Geoffroy Buffière se montre cérémonial et sentencieux, bien servi par sa carrure et un volume imposants. Cependant, la voix manque de stabilité et de profondeur pour le rôle. Hugo Santos délivre en Frère Jean une basse large et caverneuse, bien émise. François Pardailhé chante Benvolio d’un ténor de caractère qui peine à ressortir des ensembles.
L’ovation qui accueille les rôles-titre devant le rideau décuple l’enthousiasme des deux chanteurs qui tombent dans les bras l’un de l’autre et esquissent quelques pas de danse. Le reste de l’équipe musicale est également chaleureusement salué par un public satisfait d’une mise en espace quasiment mise en scène.