Récital Anna Netrebko & Yusif Eyvazov, l'Italie toujours à l'Opéra de Liège
Riches et limpides dans tous les sens sont la performance et le programme de la soirée, divisé d'une manière chronologique avec Verdi en première partie et Puccini en seconde. Mais loin de monter en régime progressivement au cours du concert, la soprano attaque d'emblée avec un morceau de bravoure ("Tu che le vanità" extrait de Don Carlo). Comme pour montrer qu'elle est parfaitement remise (le récital avait dû être repoussé du 28 février au 8 mars), elle impose d'emblée sa voix et sa présence, recueillant la première des acclamations qui éclateront toute la soirée durant.
Tout le reste du programme est ainsi constitué de sommets lyriques, longs airs et épisodes poignants, puisés parmi les passionnants chefs d'œuvre du répertoire pour le plus grand plaisir du public. Les deux solistes assument ces sommets avec la constance de leurs moyens respectifs au fil de plusieurs scènes, chacun en solo puis se rejoignant. C'est ainsi un opéra imaginaire en quatre actes qui est proposé par ce récital. D'autant que le couple incarne pleinement ces personnages sur cette scène de concert comme et car il a l'habitude de le faire sur les plus grandes planches et arènes lyriques.
Ce concert devient un opéra imaginaire par ce jeu et par le fait que l'enchaînement des morceaux raconte une histoire. À première vue, l'intrigue recomposée semble toutefois être à l'envers (le premier duo du récital est le duo final et mortel d'Aida, suivent deux duos de retrouvailles amoureuses -aux débuts de Traviata et Tosca- et le tout s'achève par l'épisode de la première rencontre et du coup de foudre dans La Bohème). Mais, comme à l'Opéra tout commence souvent par la fin et réciproquement, la temporalité se recompose belle et bien puisque la fin d'Aida regarde vers un tendre passé alors que le début de La Bohème regarde vers un avenir heureux (tandis que Traviata et Tosca annoncent -par le même geste- le bonheur et la maladie mortelle).
La diva soprano russe Anna Netrebko embrasse tout ce programme et toute la salle d'un regard intense et d'une voix riche. Elle combine tout l'ambitus et toutes les nuances. Le grave peut être caressé aussi bien qu'un râle puissamment expressif, l'aigu filé pianissimo ou bien éclatant d'un lyrisme dramatique. Les phrasés sont immenses, souples et ornés, sombres ou lumineux. Le médium s'élargit, charnu, volcanique parfois, pour remonter ou sombrer plein et entier. Comblant le bouquet de cette performance scénique, la diva entrant sur scène comme dans la pyramide d'Aida ou l'Église de Tosca suscite des soupirs d'admiration à la vue de ses deux robes de gala, tout comme lorsqu'elle offre à une spectatrice les fleurs de son bouquet.
Si c'est Madame qui avait dû faire reporter ce récital le temps de se remettre, c'est ce soir Monsieur qui semble toutefois en méforme (quoiqu'il n'ait pas fait d'annonce sur sa santé vocale). La voix du ténor demeure tendue, le phrasé aiguisé, l'aigu plutôt criard bouge et s'interrompt. L'ensemble du timbre est pauvre en harmoniques et rêche. Cela étant, le volume est imposé et constant, durant tous ses solos, que Yusif Eyvazov choisit lui aussi comme autant de sommets impressionnants, dès sa première entrée en scène par La Force du destin. Cela lui demande toutefois des sauts du grave à l'aigu qui mettent en difficulté le contrôle de sa projection et la justesse (il a régulièrement tendance à chanter trop haut les aigus), avec des accents d'essoufflement et coups de diaphragme. Mais si les aigus sont parfois clairs, parfois sombres, ils s'installent progressivement sur un long souffle et le ténor se pose surtout sur le grave raffermi.
L'orchestre se montre à l'aise avec les choix de répertoire pour ce récital et l'accompagnement des deux solistes. D'autant que les musiciens maison ont les morceaux bien en mains pour les avoir récemment interprétés (Aida l'année dernière) ou se préparer à le faire durant leur saison lyrique. Don Carlo vient tout juste d'être représenté dans une version événement (en francais) et résonne encore de ses forêts passionnelles, Nabucco donne déjà envie d'être en juin prochain pour apprécier le long d'une soirée ces fanfares nobles et dynamiques, les lignes élégantes portant les fameux thèmes. Les trois opus de Puccini programmés ont été représentés ici ces quatre dernières années. L'orchestre avance à pas feutrés mais en déploie bientôt et amplement les riches couleurs, toujours clairement guidé par Michelangelo Mazza. Dans cette disposition de concert, l'orchestre sur scène derrière les solistes peut pleinement déployer ses volumes et ensembles instrumentaux, pour porter sans craindre de les couvrir ces grandes voix.
Le Libiamo de La Traviata est systématiquement donné en bis dans les récitals, mais il est ici offert dès la fin de la première partie. La première moitié de ce concert à deux têtes d'affiche avait ainsi déjà offert des sommets et reçu des triomphes dignes d'un temps fort de la saison lyrique.
Après le concert avec Ildar Abdrazakov et Speranza Scappucci en octobre dernier, c'est une autre star lyrique, Pretty Yende sous la baguette de Riccardo Frizza qui refermera le 29 mai prochain le cycle de récitals orchestraux cette saison à Liège. En attendant le programme exceptionnel de la prochaine saison, Bicentenaire.