Don Quichotte de Massenet à l'Opéra de Tours
Don Quichotte de Massenet s’inscrit ici dans un univers scénique fort et dépouillé proposé par Louis Désiré pour la mise en scène, Diego Mendez Casariego pour les décors et costumes, Patrick Méeüs pour les lumières.
Notre compte-rendu de la première à Saint-Étienne : Point de malédiction
Un lit omniprésent sur les cinq actes de l’ouvrage s’offre comme un lieu de douleur pour le Chevalier à la triste figure, mais aussi de plaisir pour la courtisane Dulcinée. Deux univers s’affrontent, l’un bercé par le monde dépassé de la Chevalerie et de l’amour courtois, l’autre combien plus prosaïque et plus immédiat. Le dévoué Sancho, si puissamment attaché à son maître, forme comme un trait d’union entre les personnages. Cette approche possède l’extrême avantage de ne pas disperser outre mesure l’action en mettant pleinement en valeur l’émotion instinctive qui émane de cet opéra de Massenet, l’un des plus intimes et intenses du compositeur. Le cinquième acte notamment, condensé et d’une puissance expressive remarquable, appartient décidément au meilleur de l’inspiration musicale de Massenet. La mort de Don Quichotte avec cette vision de l’étoile éblouissante et de l’absolu à atteindre, remue toujours autant.
Nicolas Cavallier a déjà interprété le Quichotte de Massenet à la scène, mais aussi celui de Mitch Leigh dans l’homme de la Mancha comportant la fameuse Quête chantée de façon déchirante par Jacques Brel : c’est dire qu’il connaît bien ce personnage à la fois lumineux et complexe. La voix de baryton-basse de Nicolas Cavallier semble se délecter de la musique de Massenet, large et étendue, aux graves soyeux. Elle arrache le cœur lorsqu’il s’adresse aux brigands notamment dans son grand air Je suis le chevalier errant ou lors de sa mort. Il compose un être fragile, tourmenté, pas forcément christique, mais certain de la pertinence de sa mission, de son bon droit, porté par son amour idéalisé. Le refus de sa proposition de mariage par Dulcinée abattra le chêne devenu trop fragile. Une interprétation qui complète avec faste celle toute récente de son Démon de Rubinstein à l’Opéra de Bordeaux (et annonce sa participation aux Chorégies d'Orange avec Samson et Dalila cet été).
Il trouve en Pierre-Yves Pruvot un Sancho à sa mesure et s’élevant au même degré d’incarnation. Après son récent Klingsor pour Parsifal au Théâtre du Capitole de Toulouse, le chanteur exploite avec sincérité un personnage aux antipodes du précédent. Sa belle voix de baryton dramatique se plie aisément aux subtilités demandées par le compositeur, facile d’émission, parfaitement timbrée. Elle dégage une humanité bienveillante qui habite de bout en bout le personnage. Son air de l’Acte II Ca me console, vaste réquisitoire misogyne contre la gent féminine, interprété avec brio et malice lui vaut une ovation méritée de la part du public.
Julie Robard-Gendre, à la silhouette élancée, s’empare du rôle de Dulcinée avec vaillance et acuité. Son mezzo large, au timbre cuivré, très personnel, pourrait être plus capiteux, plus intensément lyrique. La prononciation du texte, un peu confuse au début, se conforte sur la durée. Elle livre néanmoins une interprétation pénétrante du sublime air du quatrième acte, Lorsque le temps d’amour a fui, magnifique hommage de Massenet à la créatrice du rôle, Lucy Arbell, dont il était épris en ses dernières années de sa vie.
Carl Ghazarossian (Rodriguez) offre une voix de ténor ductile et lumineuse se détachant des ensembles, Olivier Trommenschlager (Juan) se montre sonore quoiqu'aux consonances un peu abruptes, Marie-Petit Despierres (Pedro) est une toute jeune soprano léger et gracile, et Marielou Jacquard (Garcias) dispose d'un mezzo chaleureux.
Les Chœurs de l’Opéra de Tours préparés par Sandrine Abello se révèlent d’une musicalité à toute épreuve. Malgré l’inquiétude qui semble régner au sein de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours sur son avenir (des tracts distribués s'inquiètent notamment du fait que la nouvelle convention ne garantirait plus que quatre spectacles lyriques -contre 6 donnés chaque saison précédemment) et peut-être pour prouver une nouvelle fois sa qualité d’ensemble, la phalange instrumentale sous la baguette enfiévrée et dynamique de Gwennolé Rufet, donne le meilleur d'elle-même, notamment lors de l’attaque des moulins par Don Quichotte, mais aussi au dernier acte dans tout son raffinement esthétique.