Mystères & Anamorphoses baroques, Le Louvre en terre italienne
La lumière vacillante de bougies électriques se reflète sur les bois ornés des instruments anciens : c’est dans l’intimité ecclésiale évoquée par une discrète mise en espace que résonnent les accents d'Anamorfosi, concert rassemblant des œuvres du début de l’époque baroque. La distorsion repose sur le florilège de pièces, pour la plupart conçues profanes, transposées par un texte ecclésiastique dans la sphère religieuse. La perméabilité du profane et du sacré donne la clef du caractère changeant et insaisissable de la musique de cette époque. Les lamentations de la Madone succèdent à des madrigaux dansants puis laissent place à des scènes d’opéra devenus oratorios. La diversité des écritures, vocales comme instrumentales, ainsi que des formes fait la richesse de ce voyage en Italie. Cinq chanteurs et huit instrumentistes sont les guides et peintres de la traversée des paysages musicaux.
Vincent Dumestre dirige avec un investissement remarqué, tout attentif à sculpter les sinuosités des changements de caractères, de tempi et de nuances, dont cette musique est empreinte. Son expressivité musicale se révèle d’autant plus lorsqu’il conduit l’ensemble et les chanteurs depuis son théorbe, tant par les regards que les impulsions gestuelles. Les instruments baroques, œuvres d’art à voir et à entendre, achèvent par leur timbre spécifique –et notamment celui de la harpe– de transporter dans le temps et dans l’espace.
La richesse des timbres, autant instrumentaux que vocaux, épouse la complexité de l’écriture musicale, en particulier celle du madrigal Pascha concelebranda (Monteverdi). Les voix se répondent, se marient, se relaient, se tuilent dans un entrelacement captivant, coloré de nuances et de versatilité : d’une agitation emportée à un calme tourmenté.
Les voix féminines sont mises à l’honneur par de longs passages solistes, au détriment des autres chanteurs, notamment les barytons. Le timbre brillant de la soprano Camille Poul joue d'aisance avec l’acoustique, s’affirmant dans les piani comme de puissants forte. Son imploration Maria quid ploras (Monteverdi) est parcourue par un phrasé élégant et agrémenté d’ornements à la fois musicaux et sensés. Sa voix perd cependant de sa rondeur dans la zone aiguë pendant le spectacle, attaques et voyelles devenant tendues.
La mezzo-soprano Anaïs Bertrand, qui remplace au pied levé Claire Lefilliâtre, se distingue par sa voix chaude et ronde. Elle file vocalises et broderies sans efforts dans une homogénéité de couleur parfois déstabilisée par une voix blanche trop détimbrée. Elle exhale son interprétation du texte dans Un allato messagier (Rossi), air en duo avec le violon, par une diction soutenue et un contact visuel avec le public.
Nicholas Scott est un ténor très volontaire dont l’engagement physique, bien que remarquable, nuit parfois à l’uniformité des ensembles et distrait l’attention. Cependant, la douceur de son timbre dans tous les registres, complimente avec souplesse les autres voix de l'ensemble. Très engagé dans la diction selon le caractère voulu, ses consonnes se font explosives dans "Chi fa" (Marazzoli), lui permettant de faire entendre les accents opératiques de La Vita humana. Le baryton Romain Bockler fait naviguer avec agilité son timbre léger dans les élans ornés vers l'aigu. Il démontre sa maîtrise vocale dans le bis extrait d'Il Terremoto (Draghi) où sa voix, auparavant discrète, se révèle pleine et assurée. Le baryton Benoît Arnould, certainement l'artiste le moins valorisé par le programme de cette soirée, fait entendre ses graves profonds dans les ensembles, donnant une base et une basse solides au quintette. Les musiciens sont unis par une écoute fine, perceptible dans l'émission des consonnes et les "s" finaux réalisés en parfait unisson.
Cette attention atteint son apogée dans le quatuor "Domine ! Ne in furore tuo" chanté a cappella, depuis la salle et dans le noir, où l'énergie, devenue presque mystérieuse, des chanteurs est palpable dans leurs respirations communes. Les spectateurs, transportés par le voyage, répondent avec un enthousiasme visible à cette parenthèse musicale et temporelle.