Written on Skin à fleur de peau à la Philharmonie de Paris
Commande du Festival d’Aix-en-Provence créée en 2012 (production Katie Mitchell), Written on Skin est inspiré d’une légende occitane sanglante du XIIe siècle. Acclamé dès sa création, l’opéra bénéficie d’une heureuse actualité et se voit régulièrement programmé à travers le monde. À l’instar de cette version de concert à la Philharmonie de Paris dans le cadre de l’édition 2020 du Festival Présences dédié à son compositeur George Benjamin (à retrouver ici à travers une passionnante interview). Et pour l’occasion, le compositeur lui-même vient assurer la direction de son ouvrage. Une mise en espace (Dan Ayling) minime habille le concert. Les déplacements sont réduits au nécessaire, les objets au strict signifiant du livret. Les pages du Garçon ou le plateau d’argent qui présente son cœur en repas à sa maîtresse Agnès apportent ce qu’il faut de decorum pour immerger l’auditoire dans cette fresque des passions. Confinés sur le devant de scène, les chanteurs (qui connaissent par cœur leur partie) sont imprégnés de leurs personnages et offrent une prestation scénique authentique.
L’équipage vocal est particulièrement convaincu, avec un redoutable trio de tête Ross Ramgobin - Georgia Jarman - Tim Mead. Le premier incarne le Protecteur, puissant propriétaire terrien ayant la main mise sur sa femme Agnès, dont il force l’obéissance. Le baryton porte ses lignes vocales d’une poigne de fer. L’homogénéité de timbre s’associe à des médiums et des basses à la projection ample, réservant ses fortissimi les plus transportés lorsque la présomption de la tromperie l’assaille. Le ton mystérieux et contemplatif à l’évocation du livre (Make me a book, adressé au Garçon) comme la lecture de la lettre révélant la tromperie, presque à demi-voix, construit un personnage d’une heureuse complexité. Barbara Hannigan initialement attendue dans le rôle féminin vivant un deuil familial, c’est Georgia Jarman qui s’empare du rôle d’Agnès (qu’elle portait il y a peu à la Biennale de Venise et qui est une habituée du compositeur, pour avoir créé en France son opéra suivant). Timide et docile au premier abord, elle se montre rapidement exaltée et rend sonore un aigu cristallin, effervescent. Le phrasé est délicat, les correspondances avec l’orchestre sont du plus bel effet. Révoltée, la voix subit une métamorphose. Elle devient mordante, les consonnes sèches et cassantes (Love is an act), ou au contraire d’une langueur frissonnante. Et de réserver les plus belles prouesses techniques alors qu’elle dévore le cœur du garçon, chevauchant les nuances et les larges intervalles sans perdre la ligne ni la raison.
Rompu au rôle du Garçon et du premier Ange, le contre-ténor Tim Mead apparaît à l’aise avec un registre vocal bien adapté à sa tessiture. La voix cultive le trait long et bien articulé (mélismatique Mercy), à même de peindre ses enluminures. L’assise du phrasé, dont le legato est favorisé par la résonance naturelle de la salle, dote le personnage d’une grande stabilité. Victoria Simmonds et Nicholas Sharratt forment la paire d’anges. Dès les premières mesures de l’œuvre, ils sifflent la démolition de l’homme avec une diction irréprochable, avant de s’infiltrer dans le rêve du Protecteur pour semer le doute de manière synchrone. En Marie (sœur d’Agnès) également, la mezzo-soprano comble des médiums discrets en s’appuyant sur un aigu sûr et sopranisant, aux côtés d’un John à la projection quelque peu plus abattue.
George Benjamin magnifie les richesses d’orchestration de la partition à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Le foisonnement des timbres s’associe à un équilibre sonore d’une grande subtilité, portant aux nuées les climax d’intensité comme les sonorités ténues et miroitantes de l’harmonica de verre. Portant au triomphe le spectacle entier, le public l'accueille par des applaudissements rarement si chaleureux pour une œuvre contemporaine.