OffenWachs à Aix-en-Provence, du mot-valise à la vocalise
Le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, fondé à Venise, dépoussière les œuvres légères (et pas tant que cela) oubliées de la musique française du Second Empire, d’une manière originale et nouvelle.
Retrouvez notre présentation du projet d'ensemble à l'occasion de ses 10 ans
Deux volets amoureux, en ce soir de Saint-Valentin, deux moitiés d’un même couple qui se cherchent et se trouvent. Un mari dans la serrure, du compositeur-arrangeur Frédéric Wachs, sur un livret de Gaston Villemer et Louis Péricaud, créé à l’Eldorado en 1876, donne à l’absurde, plus qu’au quiproquo, ses lettres d’allégresse. Un feuilleté de méprises onirico-boulevardières y dissout systématiquement les repères des protagonistes et des spectateurs. Suit la pittoresque « conversation alsacienne » Lischen et Fritzchen de Jacques Offenbach, sur un livret de Paul Boisselot, créé au Kursaal de Bad Ems le 21 juillet 1863. Le sabir franco-allemand résonne jusqu’à nos oreilles grâce à un duo, fondateur d’une universalité de terroir : « Je suis alsacienne ».
La renaissance de ces opus exige une minutie déjantée de la part de l’équipe scénique comme des interprètes. La mise en scène de Romain Gilbert se caractérise par une direction d’acteurs circassienne irrésistible, entre pantomime et transformisme, aux gesticulations librement mesurées. Les décors et les costumes à paillettes de Mathieu Crescence sont d’efficaces déclencheurs d’une gaîté à la mécanique qui s’emballe progressivement. Une valise à balais traverse une scène ouverte par une immense figure de chat, aux babines retroussées. Clownerie au Pays des merveilles.
L’oreille n’est pas en reste. Une grande heure de spectacle, intense, de l’ordre de la performance, dans tous les sens du terme, réunit un duo de chanteurs-acteurs montés sur piles. La prestation délicieusement affectée et désuète de Damien Bigourdan, en Bigorneau puis Fritzchen, permet de remonter le temps. Les gestes et mimiques sont trépidants, de rires et de pleurs, d’audace et de craintes, à l’exacte proportion d’une voix, à l’articulation soignée, aux consonnes bien sifflantes, à la sonorité cuivrée. Le parlé du rôle tend cependant à l’emporter parfois, jusqu’à amoindrir la franche justesse de l’intonation.
Les personnages Thérézina/Lischen par la contralto gabonaise Adriana Bignagni Lesca, bénéficient de sa voix charnue, qui semble "rentrer dans le corps" (selon l’expression confiée par la chanteuse) avant d’en sortir, avec son histoire et son énergie. Il y a de la mâche, de la pulpe, un vibrato de belle matière, chez cette chanteuse-orchestre. La plasticité organique de sa voix lui permet de circuler de l’infra-basse jusqu’au contre-ut.
Foin d’orchestre, mais un piano, dissimulé par des voilages à l’arrière-scène, que Jean-Marc Fontana anime en funambule, entre traits assurés et glissés, sous la ligne de chant.
Nul besoin de toucher au livret pour donner toute son actualité à ce propos spectaculaire, tant son fil rouge repose sur les jeux du simulacre, de l’imitation, et de la transgression dérisoire. Le public apprécie le message, porté par la performance, authentique, de ses messagers.