Philippe Jaroussky et les Lieder de Schubert en terre allemande
La note d’intention du programme rappelle que le contreténor opère, avec ces Lieder de Schubert, un changement radical. Habitué à hisser son timbre vers les firmaments du baroque, il décide, pour ce récital, de s’attaquer aux mélodies piano-voix romantiques allemandes, dévolues habituellement au timbre de baryton. Le défi de taille invite le public de Baden-Baden à redécouvrir les pièces et le timbre du contreténor (visiblement chouchou de l'assistance ici aussi) sous un jour nouveau.
Le programme alterne Lieder légers, graciles dans l’exécution et le texte, avec d’autres plus tendus, qui proposent quelques effets d’emphase vocale dont les aficionados de Philippe Jaroussky ont l’habitude, ainsi dans le Gruppe aus dem Tartarus, quasi-inquiétant, à la tension graduelle résolue par une montée agile vers les aigus. La descente suivante, toute en souplesse, offre des graves inhabituels mais sûrs au contreténor. Les quelques trilles et vibratos sont disséminés sur Des Fischers Liebesglück, ou Du bist die Ruh, le vibrato final précédant l’impression de calme et de tendresse qui sied au texte. La rondeur du timbre, si elle ne s’imprègne évidemment pas de couleurs baroques, est néanmoins présente. Les appuis sur certaines syllabes transposent le poème à la voix, nostalgique d’un printemps perdu mais espéré. Les aigus alternent clarté et douceur, soufflés, presque susurrés sur quelques syllabes, renforçant l’impression d’un souffle agile, même sur les changements de rythme, parfois saccadé et joyeux. L'articulation de la langue allemande claire et distincte, dispense le public de se référer au livret.
Ni l’intervention d’une désagréable sonnerie de portable forçant Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros à attendre patiemment, ni les bravi intempestifs de quelques membres du public en plein récital avant qu'un Lied n'ait finit de résonner, ne déstabilisent les interprètes. Jérôme Ducros accompagne le texte et la voix avec assurance et engagement, offrant un célèbre Impromptu ondoyant et des couleurs choisies avec soin pour chaque Lied.
Le triomphe est assuré par le public qui peut enfin, avant le rappel, laisser éclater son admiration et sa joie.