Roberto Alagna dans la peau d'Enrico Caruso au Théâtre des Champs-Élysées
Ce récital fait suite à la sortie de l’album, Caruso 1873, qui, après celui sur Luis Mariano, prolonge les hommages de Roberto Alagna à ses prédécesseurs. La passion du ténor pour Caruso remonte à l’enfance et, grâce entre autres à leurs débuts similaires comme chansonniers (dans les restaurants et les cabarets), ils partagent tous deux un goût pour le mélange des genres. Le programme reflète l’éclectisme de ces deux personnalités musicales, présentant des airs d’opéra d’époques différentes (de Pergolèse à Giordano), des chansons napolitaines, et d'autres origines. Plusieurs surprises marquent le programme comme l’air de Colline (écrit pour basse !) extrait de La Bohème de Puccini que Caruso interpréta sur scène (de dos) pour remplacer un chanteur soudainement souffrant. Alagna rassure tout le monde, l’incartade dans le répertoire de basse s’arrêtera là ! Les deux airs baroques, Tre giorni son che Nina attribué à Pergolèse et Ombra mai fu de Haendel, élargissant encore le spectre du programme, font figure d'incursions dans un répertoire peu fréquenté habituellement par le ténor franco-sicilien. Aux côtés de chansons napolitaines, le programme permet enfin au public de découvrir plusieurs raretés comme Piétà, Signore de Niedermeyer, "Oh! Lumière du jour" du Néron de Rubinstein (encore plus rare que son Démon actuellement à l'affiche de Bordeaux) ainsi que la Sérénade du Don Juan de Tchaïkovski. Plusieurs pièces orchestrales jalonnent la soirée, des tubes (Méditation du Thaïs de Massenet) et également des pages inhabituelles (Preludio sinfonico de Puccini ou la Sinfonia puisée dans Le Maschere de Mascagni).
Roberto Alagna rend également hommage au public enthousiaste d’une salle comble avec une grande générosité (six bis !), un engagement vocal sincère et une intensité progressant crescendo. Commencer par l’air de Colline installe la voix dans la rondeur du grave mais, néanmoins, la déplace loin de son registre de ténor. Il récupère cependant la brillance de son timbre au prix d’une certaine tension l’empêchant de nuancer son chant. Les deux airs baroques sont alors émis à pleine voix projetée dans un pur style vériste. Il retrouve ainsi ses marques et tous ses moyens dans les chansons napolitaines de la deuxième partie, Santa Lucia, qu’il dédie à sa mère, et Mamma mia che vo' sapé?! Le phrasé guidé par le souffle est ample et généreux, les aigus projetés vers les balcons irradient la salle entière. Galvanisé par les applaudissements du public et faisant fi de la fatigue, il enchaîne les bis. La montée en puissance atteint un sommet avec l’air de Lensky ("Kouda, kouda") extrait d’Eugène Onéguine de Tchaikovski. Alagna fait part d’une grande sensibilité, d’un legato majestueux et de nuances d’une suavité à faire fondre toute résistance. Créant une relation de proximité avec le public, il prend la parole à plusieurs reprises, annonçant son prochain retour à La Scala de Milan ou sa crainte de ne pas se souvenir des paroles étant sous l’effet d’un décalage horaire.
À ses côtés, Yvan Cassar, compagnon de longue date, dirige l’Orchestre national d’Île-de-France et offre des pages orchestrales dynamiques et richement colorées. La Sinfonia de Fedora (opéra de Mascagni par lequel Roberto Alagna fera précisément son grand retour à Milan le 3 juin prochain) dévoile un phrasé raffiné et des teintes orchestrales de toute beauté. Cependant, la nuance générale demeure soutenue et forte, au risque de couvrir parfois le chanteur ou de l’obliger à projeter vigoureusement. La chanson « Caruso » de Lucio Dalla, déclenche un tonnerre d’applaudissements, son arrangement étant dû à Yvan Cassar, qui en plus de chef d’orchestre, cumule des fonctions de compositeur, arrangeur et de réalisateur artistique. La soirée s’achève avec, non pas une napolitaine, mais la sicilienne « très difficile » de Turiddu extraite de Cavalleria Rusticana (Mascagni). Le public sort précipitamment de la salle afin d’être prêt pour la séance de dédicace du ténor national.