Patricia Petibon, le chant de la sirène à l’Opéra National du Rhin
« L’amour, la mort, la mer ». Le programme, articulé autour de ces thématiques foisonnantes en bijoux lyriques, s’émancipe des grands effets de voix et de l’académisme du récital. Naviguant des rives brésiliennes de Francisco Mignone au populaire et émouvant Danny Boy irlandais, en passant par Erik Satie et John Lennon, Patricia Petibon oscille, tangue, chavire sur scène, sans que jamais le timbre ne se noie.
Longiligne capitaine de navire à l’élégante robe aux détails de marinière, la crinière flamboyante retenue en une couronne de tresses, elle s’improvise, avec la complicité de Susan Manoff, magicienne, fouillant dans le piano devenu coffre aux trésors, d’où elle tire des nez de clown, des poissons à paillettes et une adorable baleine en feutrine qui devient un personnage à part entière de la scène, chaque objet terminant sa traversée dans le ventre de l’animal. L’humour est de mise, ainsi lorsqu’elle fait signe au public de l’imiter dans les cris de perroquets annonciateurs de la Dona Janaína de Mignone, ou qu’elle agite une queue de sirène accrochée au piano. Le récital se transforme en célébration du sel de la vie qui tranche avec la douleur et le recueillement, des illusions d’horizons lointains des Berceaux de Fauré aux Sanglots de Poulenc.
La mer est sublimée par toutes les inspirations, depuis All through Eternity de Nicolas Bacri jusqu'au Bord de l’eau de Fauré, en passant par la Bretagne de l’exquise Rencontre de Jean Cras et des morceaux pour piano solo de Yann Tiersen sous les mains agiles et sensibles de Susan Manoff. Les chansons ou airs proposés s’inscrivent résolument dans le haut de la tessiture de Patricia Petibon, dont la richesse et la diversité du récital exposent toutes les couleurs.
Les rares graves que permettent les œuvres proposées sont clairs et bien appuyés, offrant une montée finale agile sur Oh my love de Lennon, arrangé pour l’occasion par Laurent Levesque en un tempo d’abord plus rapide que l’original. L’essence des textes modèle les aigus, tout en rondeur des attaques sur Heart, we will forget him de Robert Baska, consolateurs puis fiévreux sur Danny Boy, ensoleillés sur Dona Janaína, argentés sur A la mar de Nicolas Bacri.
Les nuances qu’elle déploie laissent entendre un filin de voix qui achève pianissimo Au bord de l’eau de Fauré, la légèreté de l’écume sur A la Mar. Le souffle est poudré, parsemé de trilles aériens pour la rare Crucifixion de Barber, et le soupir final sur la Rencontre rappelle celui de son Quando voglio de Sartorio. Les forte, longuement tenus, ponctuent sans trop-plein ce récital intime avec assurance. La diction, claire en toutes langues, du français au portugais brésilien en passant par l’anglais, s’adapte aussi à l’origine des textes, l’espagnol européen de Granados succédant au chuintement net de l’argentin d’Alfonsina y el mar de Ramirez et Luna.
Comme la voix offre toutes les nuances, le jeu de Susan Manoff, l’autre capitaine, participe pleinement à l’émotion ou à la légèreté des airs choisis. Malicieuse ou absorbée, elle effleure les touches ou les martèle, sur le troisième Piano blues d’Aaron Copland, jusqu’à frapper le sol de ses hauts talons. Elle crée la houle de la Rencontre qui sied à la voix, la guide avec assurance, le piano inséparable du timbre, menant le duo à l’ovation unanime du public strasbourgeois.