La Bohème s’installe chaudement au Royal Opera House
Authentique et réaliste, la mise en scène de Richard Jones immerge facilement dans l’ambiance hivernale de Paris avec des tableaux esthétiques mais dépouillés, centrés sur les drames vécus par ces personnages (au jeu de scène frais et convaincu). Les costumes conçus par Stewart Laing sont travaillés et variés représentant les classes sociales d’époque. Les lumières descriptives (Mimi Jordan Sherin) sont également appropriées à chaque lieu et allègent aussi bien la neige que les lourds décors : même le simple cabanon en bois en guise de logis pour les scènes de la vie de bohème, puis en contraste les imposantes structures représentant les galeries marchandes et les restaurants des quartiers chics parisiens. Le spacieux et glacial espace libéré au troisième acte, sublimé par une neige artificielle, apporte une autre immensité au contraste scénique, un élan dramatique annonçant la fin de la pauvre Mimi déjà condamnée.
Charles Castronovo avait sauvé La Bohème dans cette même salle et même production le 20 juillet 2018 (venu en spectateur parmi le public, il chanta à la place du ténor Atalla Ayan victime d'une extinction de voix au deuxième acte). Il était venu admirer sa compagne à la ville et à la scène Ekaterina Siurina, il la retrouve cette fois en tant que titulaires du rôle pour cette distribution. Le ténor américain Charles Castronovo joue la carte d'une présence expressive dans le jeu et la matière vocale mais plutôt passive dans l'expression de ses intentions. La voix chaude et puissante du chanteur passe merveilleusement bien en salle. En revanche, les aigus sont abordés avec prudence, l'aigu notamment de son air "Che gelida manina!" est strident par manque d’ouverture.
Dans le rôle de Mimi, la soprano russe Ekaterina Siurina donne une version sensible et très émouvante du personnage, n’hésitant pas à la faire grandir encore en expressivité au cours de l’histoire. Timbre aiguisé et soyeux, ses vocalises s’enchainent sur un tendre phrasé. Elle s’avère un peu moins précise et projetée au dernier acte même relativement au choix d'une interprète qui souhaite intérioriser l’épuisement de Mimi.
Le doux Marcello, interprété par le baryton polonais Andrzej Filonczyk, est aisé mais parfois trop réservé et trop sage face au caractère espiègle encouragé par le livret et demandé par la production. Les doux accents chauds et ronds sont plaisants mais manquent de mordant et de charisme. Face à lui, la charmante Musetta de la soprano roumaine Simona Mihai, a une présence provocatrice évidente. Confiante dans son personnage, elle ose prendre des initiatives scéniques (et vocales) captivantes provoquant des rires dans l’auditoire. Après un début vocal assez réservé manquant de tonicité dans le récit, sa voix se dévoile lors de son air, pétillante et raffinée dans les aigus, appuyée sur les médiums et les graves. Le baryton anglais Eddie Wade (son riche Alcindoro), donne de la voix face à elle pour révéler leurs tensions.
Détonnant d’une voix sombre aux harmonies graves et très distinctes, la basse slovaque Peter Kellner s'approprie le rôle de Colline avec précision, fluidité et ouverture. Le baryton hongrois Gyula Nagy dévoile un potentiel dynamique, éclatant à travers pas de danse et expressivité audacieuse. Timbre profond et plein, il garde ses belles couleurs vocales jusqu’à la fin. Le vieux Benoît est interprété par la basse anglaise Jeremy White, restreinte par son apparition courte mais prononcée dans un discours théâtral. Accompagné du chœur d’enfants joyeux, le marchand de jouets Parpignol (Andrew Macnair) déclame son texte distinctement parmi les passants. Membres du Chœur du Royal Opera House, la basse irlandaise John Morrissey (un Officier) et le baryton-basse britannique Thomas Barnard (un Sergent) donnent des directives sonores et adaptées à leurs personnages formels.
Dynamisant les scènes d’ensembles, le Chœur du Royal Opera House participe hautement aux scènes de vie par une diversité d’actions plaisantes et sans failles, tout en donnant de la voix. L’Orchestre du Royal Opera House, dirigé par le chef Emmanuel Villaume, se donne carte blanche pour laisser vibrer la musique de Puccini et en traduire la virtuosité unique pour accompagner les chanteurs mais aussi colorer sa partie instrumentale, tout aussi éclatante.
Les artistes sont chaleureusement remerciés par un public encore bouleversé.