Bouillonnant Porgy and Bess en direct du Metropolitan Opera
C'est dans une nouvelle mise en scène signée James Robinson que le village de Catfish Row revoit le jour, peuplé de ses habitants. Une structure quasi unique en bois ajouré représente une riche maison du Sud américain, où chaque pièce est une habitation. L’action se déroule sur tous les niveaux du décor, à l’avant-scène comme sur les balcons ou les escaliers de la maison, tandis que le plateau tourne suivant les scènes, offrant plusieurs points de vue du même ensemble et rythmant la soirée. Le plateau tournant sert à dynamiser l’ensemble de la production, en particulier les parties dansées, pensées par Camille A. Brown dans lesquelles les danseurs martèlent le parquet de leurs talons, accentuant l’éclat des parties chorales. Les chœurs du Met, dans les costumes variés et colorés de Catherine Zuber excellent de bout en bout dans la partition avec une énergie vibrante et prennent entièrement part à l’action dans cette œuvre où la communauté revêt une grande importance, chacun étant complètement impliqué scéniquement et apportant beaucoup à l’émotion générale.
La direction musicale confiée à David Robertson est très inspirée, tempi alertes et sens du spectacle, justement partagés entre lyrisme et jazz, les multiples couleurs de la partition mettant en particulier à l’honneur les cuivres et les percussions.
La vingtaine de chanteurs solistes qui constitue la distribution offre une prestation d’égale qualité, excellemment saluée. De la Vendeuse de fraises guillerette de Aundi Marie Moore et du Vendeur de crabes taquin de Chauncey Packer (également interprète du rôle de Robbins avec la même énergie) en passant par le rôle parlé du détective (ici Grant Neale), les seconds rôles assurent tous leur partie avec la volonté de faire entendre chaque habitant de Catfish Row dans une même ferveur.
Dans les parties plus conséquentes se distinguent le Jake athlétique de Donovan Singletary, dont la voix rocailleuse prend des accents railleurs lors de sa berceuse A woman is a sometime thing. La voix de sa femme Clara chantée par Golda Schultz introduit l’opéra par un Summertime voluptueux et sonore, subtilement phrasé.
La charismatique Denyce Graves dans le rôle de Maria assoit l’autorité de son personnage en puisant avec expérience dans son ample registre de mezzo-soprano des graves dignes d’une contralto, comme l’exige sa partie. Elle défend son territoire face au Sportin’ Life de Frederick Ballentine, dealer raffiné et pervers. Ce dernier se démarque par ses talents d’acteur, danseur et chanteur qu’il met à profit tout au long de la soirée, en particulier dans son air It ain't necessarily so abordé d’une voix lumineuse au phrasé chaloupé.
Également dotée d’une présence scénique expressive, Latonia Moore incarne une Serena solide, dans le registre grave aussi bien que dans l’aigu, et à la musicalité toujours sûre. Son interprétation aux accents déchirants de My man’s gone now est l'un des sommets de la soirée, pour lequel elle reçoit une ovation du public.
Le personnage beaucoup plus sombre de Crown trouve en Alfred Walker un interprète pleinement investi vocalement et scéniquement, sachant nuancer entre persuasion et colère dans le duo avec Bess de la fin du deuxième acte et son apparition durant la tempête au troisième. La voix est pleine et assurée, ici aussi emprunte d’une musicalité certaine.
Annoncé souffrant en début de représentation, la légère gêne dans la voix d’Eric Owens ne fait que renforcer la sympathie que dégage le personnage de Porgy. Le chanteur s’appuie sur une vocalité pleine de caractère, au timbre coloré et à la puissance toujours maîtrisée pour composer un personnage sensible et protecteur. I got plenty o' nuttin accompagné avec un banjo dans l’orchestre est touchant de sincérité et de chaleur humaine, autant que le duo You is my woman now, avec la Bess d’Angel Blue. Cette dernière s’emploie, à l’instar de ses partenaires, à proposer une interprétation complète de son personnage sur le plan théâtral, passant de l’indécision à la certitude, des bras de Crown à ceux de Porgy. La voix est opulente et riche, le médium sonore et le tout est supporté avec confiance par un souffle endurant et maîtrisé.
Après les dernières paroles du chœur et de Porgy sur I’m on my way, le rideau tombe en même temps que le triomphe du public qui réserve des applaudissements plus que chaleureux à toute la distribution après trois heures de spectacle sans temps mort.