Sensible Traviata à l’Opéra de Metz
Le
tulle délicat, symbolique de l’élégance et de la légèreté de
la "dévoyée", est constamment présent sur scène,
dans les tentures qui enserrent la malade. Esseulée, légère, condamnée, tous les adjectifs associés à Violetta Valéry se retrouvent par touches dans la mise en scène. Les soieries luxueuses
créées par Giovanna Fiorentini habillent le beau monde avant de
recouvrir le corps de la phtisique qui agonise sur un Récamier (méridienne) d’un
blanc pur. Le
blanc est l’essence même de cette mise en scène, céruse qui
maquille le chœur, camélias jetés, nuages qui passent
dans le fond de scène, moiré dans les costumes, constamment
spectral et prémonitoire, magnifié par les lumières attentives de
Patrice Willaume. Les
touches de couleur qui enjolivent l’atmosphère fantomatique se
concentrent sur le bleu ciel du costume d’Alfredo au deuxième
acte, sur le rouge sang des boléros des danseuses du bal et des
linges tachés dans une bassine du sang de Violetta agonisante.
L’allégorie de la mort se renforce aussi dans la projection vidéo
de l’âme de Violetta au-dessus de la cheminée. La
Traviata accueille son cercle avec joie et ardeur, mais les "amis" n’offrent en retour que statisme et visages fermés qui
transmettent avec justesse et sens l’abandon à venir, l’illusion
d’un cercle social qui n’a que faire de l’héroïne.
La justesse caractérise aussi le jeu de la soprano finlandaise Tuuli Takala, jeu de scène comme performance vocale. Le personnage se construit dans le visage radieux ou désespéré, le corps à l’agonie puis galvanisé dans les derniers instants. Comme elle exprime le ressenti de sa Violetta par la gestuelle, Tuuli Takala lui offre une palette vocale très riche qui passe tous les aigus en revue. Limpides, ils éclatent ensuite, redeviennent doux et fins, offrent des descentes vertigineuses, se font mordants, déchirants, montent avec souplesse la gamme, ponctuée du plus délicat vibrato (Sempre libera-Toujours libre). Le souffle court, la portée restreinte se posent à bon escient sur l’agonie finale, marquetée de graves remarqués. L’italien est aussi naturellement dicté dans le chant que dans la lecture de la lettre. Tuuli Takala meurt ovationnée.
Les petits rôles de Flora (Lidija Jovanović) et Annina (Sylvie Bichebois) contrastent avec la performance du rôle premier, l’une par des aigus un peu aigres mais à l’excellente portée, l’autre par une diction un peu brouillonne mais des aigus fermes et décidés.
Chez les voix masculines, le ténor Jonathan Boyd est un Alfredo au jeu de scène impeccable. Le passage des aigus aux mediums, voire aux graves, est aisé, les aigus clairs, fiévreux dans sa déclaration à Violetta, puissants lorsqu’il jure de se venger de l’infamie et lui jette au visage les billets. Ils manquent toutefois un peu de rondeur dans les derniers instants.
Le père Germont est porté par Stefano Meo, dont la stature sied au personnage. Le triomphe est aussi assuré au baryton tant le timbre revêt alternativement la douceur fausse dans des aigus chaleureux de circonstance, la sécheresse de cœur dans des mediums progressivement fermes et des graves tranchants, puisés au fond de la gorge. Le coffre, la diction, la clarté, l’aisance globale concordent à lui assurer des applaudissements nourris à chaque intervention.
Chez les comprimari (seconds rôles) masculins, le ténor Osvaldo Peroni peine à faire entendre son Gastone, Christian Tréguier use de graves doux et douloureux pour son Grenville, alors que le Baron Douphol d’Olivier Déjean est clair mais manque de coffre. Le Marquis de la basse Thomas Roediger porte davantage de beaux graves, puissants et assurés.
Préparé par Nathalie Marmeuse, le Chœur de l’Opéra maison assure avec portée et placement ses interventions, en particulier les voix féminines sur le célébrissime chant des zingarelle. La souplesse dans les nuances successives s’accorde à merveille avec la souplesse physique des danseurs. L’Orchestre national de Metz, sous la direction de David Reiland, offre les couleurs subtiles d'une infinité de pianissimi dès l’ouverture. Par des élans dramatiques de circonstance, la tension de la partie de cartes est magnifiée par les archets, la fatalité exacerbée par les bois.
Sous les applaudissements nourris du public, Paul-Émile Fourny rappelle qu’en ce jour, il y a 268 ans exactement, était inauguré l’Hôtel des Spectacles, qui allait devenir le Théâtre, puis l’Opéra-Théâtre de Metz. Cadeau de choix pour le plus ancien théâtre de France en activité, l’ensemble du plateau vocal offre un « joyeux anniversaire » retentissant et triomphal : longue vie à l’Opéra-Théâtre !