Le Barbier de Séville, la magie Pelly se poursuit à Tours
La mise en scène de Laurent Pelly abolit la référence à Séville : le théâtre surgit ici de la musique et réciproquement, littéralement : en effet, le décor est constitué de pages de musique géantes, des pages vierges sur lesquelles les interprètes peuvent graver le théâtre et la musique avec leurs corps et leurs voix. La métaphore musicale se file avec les pupitres qui servent d'armes aux soldats et plus généralement les chorégraphies des choristes (dont la musicalité des mouvements est une signature de Pelly), en smoking et se déplaçant comme des pingouins mécaniques tout en contribuant richement à la tornade musicale.
Chaque interprète est ainsi immergé dans un collectif, renforçant la musicalité ainsi que les caractères théâtraux de chaque personnage (avec une direction très impliquée, indispensable car seules ces incarnations peuvent ici faire imaginer les lieux de la pièce pensés par Beaumarchais) : Bartolo notarial-autoritaire et irritant, Rosine frustrée et emplie d’une jeune vigueur qui ne demande qu’à se déployer, Almaviva hésitant entre l’autorité de son rang et la candeur de sa flamme, Figaro racaille, madré, roué, malin, qui sait gérer son monde, Basilio entre zombie et mélancolie.
L’orchestre, quoiqu'un peu réduit du fait de l’exiguïté de la fosse, sonne très amplement sous la direction incisive et percutante de Benjamin Pionnier. Les contrastes dynamiques, les tempi variés et surtout les montées énergétiques perpétuelles (fameux crescendi Rossiniens) nourrissent les arias et les ensembles.
Aux côtés du comédien Thomas Lonchampt (incarnation de l'Ambrogio traînard et rigide), la distribution vocale est de haut niveau, avec des chanteurs bien calibrés, et tous d’une grande efficacité tant vocale que théâtrale. Tous sont à la hauteur des coloratures qui parsèment cette partition et sont pleinement en phase avec les tempi parfois endiablés (à juste titre). Nicholas Merryweather modèle un petit baryton, à la voix présente qui affine le rôle de Fiorello. Berta, frustrée, épuisée et enrhumée est incarnée efficacement par Aurelia Legay, à la voix de soprano sonore, large, parfois tonitruante -par excès de jeu- mais si utile pour les ensembles (et fort drôle dans son air) !
Le lunaire Basilio, bien terrestre cependant lorsqu’il est question d’argent, est incarné par Guilhem Worms, qui est doté d’une voix de basse extrêmement longue, claire, déliée, d’un volume sonore impressionnant. Son grand air de la Calomnie se déploie à l'image de toute sa prestation, dans un engagement théâtral entier (et hilarant pour le public).
Le Bartolo de Michele Govi campe la veulerie bourgeoise, dans son costume aussi étriqué que ses intentions scéniques sont précises. La voix du baryton est pleine d’autorité, avec des couleurs sachant épouser les divers états du personnage (colère, exaspération, peur, mais aussi séduction et lâcheté). Son articulation suit le tempo même s'il est un peu couvert lors des nuances les plus exigeantes.
Guillaume Andrieux déploie un Figaro de grande classe avec son ample baryton, clair et agile. La voix est aussi souple et à l’aise que sa présence scénique, physiquement intense et réjouissante. Sa faconde est bien utile pour mener son parcours dramatique, en passant par le fameux et large "Largo al factotum" (vantant la diversité de ses talents par la diversité de ses couleurs vocales).
Le ténor di grazia Patrick Kabongo, sculpte le Comte Almaviva en jeune homme candide, un peu naïf, éperdument amoureux. Il est hilarant dans les moments où pour mener son affaire il se déguise en Maître de musique un peu benêt ou en soldat ivre. La voix est très longue, belle, bien projetée, avec une facilité d’émission, et surtout une virtuosité bienvenue dans ce répertoire. Le public acclame sa scène finale entière, pyrotechnique, sommet de l’abattage et du tempérament de ce registre.
Anna Bonitatibus propose une Rosine corsée, ample, longue, aisée. Dans un art consommé des coloratures, elle égrène avec virtuosité les modulations dynamiques (du triple piano dans les attaques, aux déploiements plus sonores) qui les rendent palpitantes et vibrantes de vie. Même dans des costumes neutres (combinaison de nylon en particulier), elle parvient à représenter avec justesse la jeune femme –pleine de vie et d'impatience sensuelle.
Une soirée triomphale à l'issue de laquelle le public applaudit mise en scène et interprètes, dans une surenchère.