Anaïs Constans : « Les rôles de premier plan s’enchainent cette saison »
Anaïs Constans, vous êtes au cœur d’une saison chargée en rôles de premier plan et exposés : après vos prises de rôles de Blanche dans les Dialogues des Carmélites et Leila dans Les Pêcheurs de perles, vous avez retrouvé Marie dans La Fille du Régiment à Avignon, que vous aviez chanté la saison dernière : comment vivez-vous cette saison ?
C’est une saison intense car ces projets se sont enchaînés, mais ce sont des rôles qui me plaisent beaucoup et qui sont dans ma voix. J’ai eu beaucoup de temps libre la saison dernière donc j’ai pu bien préparer ces rôles et arriver très prête sur chaque production. J’ai eu du mal vocalement et spirituellement à me mettre dans le rôle de Leila tout en chantant Blanche, qui est un rôle prenant sur un sujet très fort, et avec un placement vocal et un phrasé très particuliers. J’ai donc pris les rôles l’un après l’autre.
Quel bilan tirez-vous de ces récentes prises de rôles ?
Je suis contente car je me suis sentie très à l’aise sur scène, notamment vocalement. Le temps de répétitions n’était que de 15 jours pour Les Pêcheurs de perles, ce qui est court pour une prise de rôle. Heureusement, les chefs de chant que nous avions sur ces productions m’ont beaucoup aidée. Cela permet de se mettre le rôle dans la voix et dans le corps.
Aviez-vous déjà connu un tel enchaînement de rôles de premier plan dans votre carrière ?
Non, c’est nouveau. Je n’ai jamais manqué de travail, mais j’ai fait beaucoup de rôles de second plan. Une page s’est tournée cette année. Les prochaines saisons restent sur cette dynamique, même si les projets s’enchaînent un peu moins pour l’instant. D’autres contrats se rajouteront peut-être plus tard.
Qu’est-ce que cela change humainement, professionnellement et artistiquement de porter ainsi des projets d’envergure ?
Cela n’a pas changé grand-chose pour moi. J’essaye de rester les pieds sur terre. J’arrive toujours très prête sur les projets, que ce soit pour un premier plan ou un petit rôle. C’est la même rigueur. Il y a de la pression sur les premiers plans, surtout lorsqu’on a beaucoup de références dans la tête comme c’est le cas de Natalie Dessay sur La Fille du Régiment, mais il faut garder sa personnalité pour proposer sa propre interprétation. De toute façon, ma voix ne répondrait pas aussi bien, serait moins homogène, si je perdais ma spontanéité.
Comment décririez-vous cette production de La Fille du régiment par Shirley et Dino ?
Elle est hilarante. J’ai l’impression d’être dans une pièce de théâtre comique. C’est à la croisée du bel canto et de l’opérette. C’est un régal. Nous travaillons avec beaucoup de simplicité, mais avec la rigueur du bel canto car il y a beaucoup à chanter. Dans le travail théâtral, Shirley et Dino sont très exigeants : les parties comiques sont très longues à monter. Cela nous avait pris beaucoup de temps lors de la création de la production à Montpellier, mais tout est revenu vite pour cette reprise : un travail inconscient a continué depuis. En particulier, les textes, qui ont été réécrits pour cette production, sont revenus assez vite. Nous avions passé beaucoup de temps à régler chaque regard vers le public de manière millimétrée afin qu'il capte les intentions : nous n’avons pas eu besoin de beaucoup retravailler cela. Nous rigolions beaucoup entre nous pendant les pauses, mais le travail était très sérieux. Ce n’est pas évident de faire rire : il faut trouver le ton qui soit naturel. Dans les rôles plus sérieux, il n’y a pas de texte parlé et l’émotion passe par la musique.
Comment décririez-vous ce rôle vocalement et théâtralement ?
C’est un garçon manqué mais elle est malgré tout féminine et très sincère. Elle aime tous ses papas, son Tonio et son environnement. Elle s’adapte à ce que la vie lui donne. C’est un personnage drôle mais dont les airs sont sérieux. Son premier ensemble, « Au bruit de la guerre j’ai reçu le jour » est assez long, avec beaucoup de cadences et de rebondissements. Elle a une fragilité : elle a été abandonnée et retrouvée sur un champ de bataille. Elle a cela au fond d’elle, même si elle a été adoptée ensuite et a reçu énormément d’amour. Elle a cette souffrance qui découle de son enfance. Je chante ce rôle avec ma voix qui est assez centrale : je ne le chante pas avec toutes les contre-notes de Natalie Dessay mais avec les variations qui conviennent à ma voix, puisque le bel canto le permet.
La saison passée, vous aviez collaboré avec le Palazzetto Bru Zane sur les redécouvertes de Maître Péronilla au TCE et de la Cendrillon d’Isouard à Saint-Étienne. Cette saison, vous chanterez également dans La Carmélite de Reynaldo Hahn. Quel regard portez-vous sur le travail du Palazzetto Bru Zane ?
C’est un travail admirable de recherche : je n’avais jamais entendu parler de ces œuvres, qui mobilisent beaucoup d’artistes. Le Palazzetto Bru Zane fait un gros travail en amont pour faciliter notre préparation. Nous n’avions aucune référence pour ces œuvres : ils nous préparent donc un enregistrement piano qui nous donne une base pour travailler. Ils nous fournissent également des partitions très lisibles, ce qui n’est pas si souvent le cas. Alexandre Dratwicki [le Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, ndlr] nous accompagne pour nous donner le contexte scientifique et historique de l’œuvre, ainsi que dans le travail sur la diction.
Que dire de cette production de Cendrillon qui est reprise cette année à Caen, à Massy et à l’Athénée ?
L’œuvre se rapproche de l’opéra romantique français. Le début est assez comique. Les lignes sont simples, mais très belles et longues. La musique va à l’essentiel, est très bien écrite, avec des harmonies très intéressantes. C’est à mi-chemin entre l’opéra-bouffe et l’opéra sérieux français.
La mise en scène de Marc Paquien est enfantine, avec un travail dramatique assez pointu. Ce personnage de Cendrillon a une souffrance liée à ses sœurs, et doit être touchant. Ses lignes vocales sont plus simples et sincères que celles des sœurs qui ont des vocalises pyrotechniques. Il me tarde d’y revenir. Le fait que la production soit reprise dans quatre théâtres sur deux saisons permet au spectacle d’évoluer. Après l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, nous serons maintenant accompagnés par Le Concert de la Loge, toujours dirigé par Julien Chauvin : cela donnera une nouvelle dynamique.
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Vous serez donc également associée cette saison à la redécouverte de La Carmélite : qu’avez-vous découvert de cette œuvre ?
Je n’ai pas encore pu me plonger dans la partition, mais c’est une œuvre assez longue, notamment en ce qui concerne le rôle de Louise (interprété par Hélène Guilmette), exigeante à interpréter, avec beaucoup de personnages secondaires qui amènent du comique et de l’espièglerie dans cette belle poésie de Reynaldo Hahn.
S’agissant d’une version concert d’une œuvre rare, vous disposerez des partitions durant le concert : qu’est-ce que cela changera ?
La partition doit rester un support : nous devons connaître suffisamment l’œuvre pour garder l’interaction avec les autres chanteurs. Il est important qu’il se passe quelque chose dramatiquement.
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L’an dernier, vous aviez participé à la redécouverte de Maître Péronilla en version concert (dans le rôle de Manoëla) : le Palazzetto Bru Zane s’apprête à en publier le livre-disque. Graver votre prestation revêt-il une importance particulière à vos yeux ?
Oui, j’en suis très heureuse. Je suis ravie d’avoir participé à l’enregistrement de cette production qui était géniale. L’ambiance et les interactions avec le public étaient très agréables. C’est bien d’avoir pu capter ce moment en direct, avec cette énergie particulière. C’est quelque chose que je pourrai transmettre à mes proches. Ça met la pression car nous sommes la seule référence enregistrée pour ces rôles-là. Je remercie le Palazzetto Bru Zane de m’avoir donné l’opportunité d’un enregistrement.
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Aurez-vous d’autres projets à venir avec le Palazzetto Bru Zane ?
Je participerai en effet à la redécouverte en concert de Phryné de Saint-Saëns, mais nous ne pouvons pas encore en dévoiler davantage.
Comment avez-vous défini votre répertoire ?
Quand j’étais au CNIPAL [Centre National d'Insertion Professionnelle des Artistes Lyriques, ndlr], on pensait que j’étais soprano lyrique colorature car j’ai les contre-notes, avec des facilités dans les aigus et les suraigus. Je chantais des rôles comme Blonde dans L’Enlèvement au Sérail ou Constance dans les Dialogues, mais je ne me sentais pas à l’aise. Quelque chose n’allait pas mais je ne savais pas quoi. Ma professeure de chant, Claudine Ducret, me disait qu’elle me voyait plutôt dans les rôles de Blanche dans les Dialogues ou Mimi dans La Bohème. Christophe Ghristi [le Directeur du Théâtre du Capitole, ndlr] m’a contactée pour faire Blanche et m’a donné du temps pour travailler le rôle. Quand j’ai passé l’audition, ça a été une évidence. Il voulait une Blanche qui n’ait jamais chanté le rôle de Constance. Cette musique m’anime au plus profond de mon âme.
" J’ai des choses à exprimer dans les rôles plus profonds"
Et comment le voyez-vous évoluer à l’avenir ? Au cours des dix derniers mois, j’ai eu un bébé et j’ai perdu mon père : cela fait évoluer à la fois la personnalité et la voix. Le décès de mon père a été très difficile. Il était très important pour moi. Sans lui, je n’en serais pas là : il m’a donné beaucoup de confiance, dès le début. Il m’a aussi inculqué des valeurs qui me permettent de garder les pieds sur terre. Il était très souffrant depuis des années et la fin a été très difficile. Je m’en occupais toute seule et l’ai accompagné jusqu’au bout. Pendant les Dialogues, j’allais à l’hôpital entre chaque répétition pour l’accompagner. Avant cela, pendant La Flûte, en septembre, je préparais Les Pêcheurs de perles et je pleurais parce que je pressentais qu’il ne pourrait pas venir m’écouter dans ce rôle.
Avec tous ces événements, ma voix est de plus en plus à l’aise dans le médium : je me sens plus épanouie en Leila ou Blanche qu’en Marie dans La Fille du régiment. J’ai des choses à exprimer dans les rôles plus profonds. À l’avenir, j’aimerais faire des rôles pucciniens, belliniens ou verdiens, mais je suis très patiente. Je me réjouis de voir des rôles mozartiens venir dans les prochaines saisons, comme Susanne, Pamina et Donna Anna. Ce sont des rôles très différents les uns des autres, mais qui sont dans ma voix. Ils demandent du médium, et à la fois de la force et de la légèreté, sans aller dans les suraigus. Je suis très heureuse de pouvoir m’exprimer dans ces rôles.
Et à plus long terme ?
On ne peut pas se dire qu’on va faire les mêmes premiers plans toute sa vie. La voix évolue et je finirai peut-être ma carrière en revenant à des rôles de second plan complètement différents de ceux de mes débuts. Ou bien je la finirai avec des premiers plans beaucoup plus dramatiques : cette évolution sera dictée par celle de ma voix et de ma santé vocale. Mariela Devia est la personne que j’admire le plus dans ce métier. À son âge, elle chante de manière sublime. J’ai réussi à la contacter pour aller travailler le rôle de Marie dans La Fille du régiment avec elle. C’est une personne formidable de rigueur et de don de soi, mais aussi de protection de soi.
Quel bilan tirez-vous de vos premières années de carrière ?
Je suis très contente d’avoir fait les rôles secondaires que j’ai chantés au début. Quand on sort du Conservatoire ou du CNIPAL, qu’on a eu un prix Operalia, on est très impatient. Mais la vie est très bien faite car ces rôles secondaires m’ont beaucoup apporté scéniquement et m’ont appris ce qu’est l’endurance.
Quel a été le déclencheur de cette bascule vers les rôles de premier plan ?
Les gens catégorisent beaucoup les chanteurs. Je remercie donc Jérôme Pillement qui m’a donné la Fille du régiment, Jean-Jacques Groleau qui m’avait permis de chanter Micaëla dans Carmen, et bien sûr Christophe Ghristi : ils m’ont donné l’opportunité de faire mes preuves sur des rôles de premier plan. Par ailleurs, il m’est arrivé de refuser des grands premiers plans qui me semblaient alors démesurés : je suis bien entourée ce qui m’aide à prendre les bonnes décisions concernant les rôles à aborder.
Comme vous le mentionniez, vous avez obtenu le troisième prix d’Operalia : qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
D’abord, en y arrivant, je ne pensais pas passer les éliminatoires : je n’étais même pas encore en début de carrière. J’y allais principalement pour me faire connaître. Ça m’a énormément apporté. Rencontrer Placido Domingo est un rêve pour tout jeune chanteur : c’est une personnalité incroyable et le rencontrer a été un cadeau.
Qu’avez-vous pensé de ses récentes mésaventures ?
J’ai du mal à y croire, même si je ne l’ai rencontré qu’à l’occasion de ce concours. J’ai eu face à moi une personne extrêmement bienveillante et paternelle. Il organise ce concours avec sa famille pour aider les jeunes chanteurs.
En 2015, vous aviez été nommée parmi les révélations lyriques aux Victoires de la musique. Qu’en retenez-vous ?
Le concert des révélations était un grand stress car on est jugée sur un moment capté en une seule fois, et que les gens peuvent ensuite écouter et réécouter. En même temps, c’est une grande richesse car cela nous oblige à être très bons du premier coup, comme c’est le cas d’un concert enregistré. Ça a aussi été une rencontre incroyable avec de grands artistes le soir de la cérémonie. Je suis toutefois tombée la mauvaise année car je n’ai pas eu la chance de chanter lors de la cérémonie.
Vous avez effectué vos débuts à l’Opéra de Paris dans le rôle de Berta pour Le Barbier de Séville : comment cela s’est-il décidé ?
J’ai passé une audition à l’Opéra de Paris après Operalia et ils avaient ce rôle à distribuer. J’ai été ravie de le faire même si cette partie n’est pas très adaptée à ma voix : nous avons fait un beau travail sur les variations avec le chef. J’aimerais bien y chanter d’autres choses aujourd’hui car ça s’était très bien passé. Chanter à Bastille était un rêve : même dans un second rôle, chanter avec d’aussi grands artistes a été un grand bonheur.
"Je suis persuadée de pouvoir être très marquante en Pamina"
Quel serait le rôle idéal pour y retourner ? J’aimerais y chanter un rôle d’opéra français, comme Micaëla dans Carmen. Le rêve absolu serait d’y chanter Blanche ! Ce pourrait aussi être Pamina dont je chante toujours l’air dans les concours. Je vais le chanter pour la première fois dans deux saisons. Je suis persuadée que je peux être très marquante dans ce rôle exigeant. Je rêve de le chanter depuis des années.
Dans quel sens souhaitez-vous désormais développer votre carrière ?
J’ai fait des concours à l’international, qui se sont bien passés. C’est un cheminement qui prend du temps, mais j’aimerais vraiment chanter en-dehors de France, comme au Liceu de Barcelone ou au Real de Madrid. J’adorerais chanter en Suisse aussi. J’ai confiance dans la vie et je suis patiente : je suis sûre que ça va venir car j’ai de très bons retours sur ce que je fais en France.
J’aimerais aussi construire une relation avec une maison de disque. C’est très beau de chanter à l’opéra, mais c’est très éphémère. J’aimerais aussi faire un travail en studio, où on peut aller à la recherche de la perfection. Je pense avoir des choses à dire, notamment dans la mélodie française.