Les Boréades à l’Opéra Royal de Versailles, ou le souffle de la liberté
Chef-d’œuvre posthume, Les Boréades de Rameau connaissent depuis quelques années une actualité florissante, avec en dernier lieu la production événement de Barrie Kosky à l’Opéra de Dijon. Nul besoin, cependant, de mise en scène pour saisir les qualités de cette œuvre, tant la partition est puissante.
Mathias Vidal retrouve le rôle du mortel Abadis épris de la reine Alphise qu’il avait campé à Dijon la saison passée. Le haute-contre démontre une fois encore une implication scénique et vocale exubérante, détonnant presque avec celle des solistes qui l’entourent. L’interprète manie les registres de voix avec audace. Il déploie aisément le fortissimo à gorge déployée dans la bravoure et la plainte comme le pianissimo le plus délicat (« J’ai tremblé pour vos jours » décharné), donnant une grande humanité à ce rôle. S’il s’appuie sur des aigus sûrs et charpentés pour conférer à son personnage toute la détermination que lui inspire son émoi, il montre cependant des médiums plus retenus, parfois confinés (« Rentrez dans vos antres profonds »). Face à cet amant mu par les transports les plus violents, Deborah Cachet se fait légèrement pudique en Alphise. La soprano incarne son personnage avec une prestance régalienne. Le timbre, solaire, est particulièrement agréable jusqu’au forte, la voix demeurant souple et délicate (les notes poussées dans les aigus tirant quelque peu), avec des ornements raffinés et des tenues ondulant à souhait. Si elle demeure juste dans le rôle, elle pourrait gagner en expressivité et en nuances, afin d'apporter plus de couleurs à son personnage.
Caroline Weynants tient les rôles de Sémire, de L'Amour et de Polimnie. Évoquant en ariette « Un horizon serein, le doux calme des airs », la voix scintille pleine de grâce dans des aigus chatoyants, sans négliger une diction particulièrement aboutie. À l’heure du grondement du vent, elle maintient au contraire de longues tenues au vibrato frémissant jusqu’à glisser vers un aigu poussé, véritable exutoire ! Dans le rôle du prétendant Calisis, Benedikt Kristjánsson montre une voix au timbre argenté. S’il embrasse une large tessiture avec une projection appréciée, il perd en homogénéité en passant d’un registre à l’autre. Certains aigus peu poitrinés manquent de limpidité, alors que poussés ils sont marqués d’une certaine dureté. Deuxième prétendant d’Alphise, Tomáš Šelc est un Borilée à la voix veloutée. Engageant ses parties avec beaucoup d’air, le baryton-basse patine ses lignes mélodiques d’un timbre onctueux. La projection est plus discrète que celle son comparse mais assure cependant d’heureuses dynamiques.
Nicolas Brooymans fait une entrée retentissante en Borée. D’une voix courroucée et ample, l’interprète déverse sa cruauté par des consonnes cinglantes et saccadées. Et malgré la rudesse qu’il confère à ses mélodies, il n’en reste pas moins une basse chantante au timbre chaleureux (en particulier lors de la descente d’Apollon « Quel éclat ! Quels brillants concerts ! », comme irisé de lumière). Benoît Arnould soutient avec engagement l’entreprise amoureuse d’Abadis dans le rôle du grand-prêtre Adamas, le phrasé lyrique et d’une belle prestance. Véritable deus ex machina, Apollon est incarné par Lukáš Zeman avec les moyens suffisants pour faire cesser tout conflit, dévoilant le lien de parenté entre Borée et Abaris. La voix est celle d’une parole de raison prononcée par un dieu : installée, grandiloquente, et menée par un phrasé abouti.
L’enregistrement paraît accentuer la recherche menée par Václav Luks d’un son sculpté, soigné, ne laissant aucune place au hasard. Dès les premières mesures, la phalange annonce des unissons frémissants d’une même verve, déployant une riche palette de couleurs (les bois, particulièrement brillants) et une variété dont bénéficient les pages contrastées. Privés de mise en scène, les interprètes font néanmoins percevoir avec un sens dramaturgique et théâtral assumé les différents rouages de l’intrigue (le travail impressionniste du percussionniste, particulièrement salué). Le chœur n’est pas en reste. Les passions extrêmes s’incarnent dans un effectif qui privilégie les forte pour des passages exaltés (« Ciel ! Quels accords harmonieux ! ») ou plaintifs (« Terrible dieu des vents, calme leur violence »), portés avec une minutie redoutable dans l’attaque et une homogénéité de ton qui en font un peuple uni.
Le label versaillais tire ici une version vivifiante de ce chef-d’œuvre ramiste.