L’Enfant et les Sortilèges ne ménage pas ses effets (spéciaux) à l’Opéra de Limoges
En
fin d’année dernière, le pari de l’ouverture à la jeunesse
avait déjà fonctionné dans la maison lyrique limougeaude, et des centaines d’enfants étaient venus applaudir la création de Jungle, opéra “sauvage” inspiré d’un classique de la
littérature enfantine : le Livre de la Jungle. Cette fois-ci,
c’est une oeuvre bien plus ancienne (elle a été créée en 1925)
qui est programmée sur la scène locale : L’Enfant et les Sortilèges, féerie lyrique en deux parties composée par
Maurice Ravel d’après un livret de Colette. Il est là question
d’un enfant capricieux et turbulent qui, après avoir été puni
par sa mère, est pris d’une forme de folie destructrice à
laquelle ne résistent aucun des objets et animaux se trouvant dans la
chambre et le jardin du jeune trublion. Mais les victimes de cet
accès de colère s’animent, provoquant l’effroi de l’Enfant
qui, lors de la deuxième partie (celle du Jardin), finit par
réaliser l’ampleur de ses emportements avant, dans une forme de
“happy end”, de retrouver sa “maman”.
Des projections de lumière qui apportent éclat et mouvement
Une histoire largement féerique et propre à parler à un jeune public, donc, ce qui est d’autant plus vrai dans cette production moderniste qui fait usage de moins de moyens matériels que de procédés techniques informatisés pour faire vivre et avancer l’action. Seuls quelques chaises, escabeaux et cubes multi-fonctions occupent un espace épuré et sombre, dont l’animation tient essentiellement aux effets visuels et jeux de lumières projetés sur un voile de tulle suspendu en milieu de scène. Signées Grégoire Pont, les images qui défilent se veulent entièrement destinées à appuyer et à grossir les humeurs davantage que les mouvements des protagonistes : ici des flammes pour exprimer la colère et des oiseaux pour figurer la nature, là des lumières à effet laser pour amplifier des gestes et les rendre d’autant plus magiques (les “wow” du jeune public témoignant en l’espèce d’un effet réussi).
Scintillantes et éclatantes, soigneusement travaillées et diffusées jusque sur les murs mêmes de la salle, ces projections épousent parfaitement la mise en espace de James Bonas, permettant (dans des jeux d’ombre qui sont ici des jeux de lumière) de donner d’autant plus d’ampleur à la gestuelle de personnages tous placés à la même enseigne sur le plan vestimentaire. Les blouses sombres sont de rigueur, le contraste n’en étant que plus saisissant avec des animations vidéos particulièrement colorées sur lesquels les regards finissent par exclusivement se projeter, ne se préoccupant plus des mouvements de personnages qui attirent dès lors davantage l’oreille que l’œil.
Catherine Trottmann, garçon pas manqué
En matière de distribution vocale, justement, de belles surprises et retrouvailles sont au rendez-vous. Vue récemment à Lyon en Cunégonde dans Le Roi Carotte (puis prochainement en récital à Cannes et dans Le Couronnement de Poppée au TCE), Catherine Trottmann campe un garçon en l’espèce pas manqué, par ses habits (culotte courte et casquette à l’envers) comme par sa gestuelle capricieuse et expressive. Voix ample et joliment sonore, timbre vibré aux teintes satinées, aigus pleins d’aise et d’éclat : la mezzo française fait ici la démonstration d’une palette technique déjà bien fournie. En incarnation du Feu, du Rossignol et de la Princesse, Jennifer Courcier (après Barbe-Bleue et Guillaume Tell à Lyon) s’illustre également, avec sa présence scénique et une voix au timbre soyeux, qui plus est agréablement projetée (le défi de l’air du Feu, avec ses vocalises périlleuses, étant relevé). Avec son instrument de soprano sonore et mélodieux, Suzanne Taffot, chanteuse canado-camerounaise, s’acquitte avec assurance du double rôle de la Bergère et de la Chouette, Aline Martin étant une Maman, une Tasse et une Libellule toutes pleines d’énergie et de présence scénique autant que vocale, la soprano française étant nantie d’un instrument ne manquant ni d’amplitude ni de chair.
Complétant le casting féminin, la mezzo Marie Kalinine et la soprano Clémentine Bourgoin livrent un efficace duo du Pâtre et de la Pastourelle, leurs timbres clairs et lustrés trouvant là une idéale correspondance. Y déployant une voix pleine de rondeur et d’ardeur (et une belle capacité à miauler gaiement), la première nommée endosse par ailleurs avec bonheur les rôles de la Chatte et de l’Écureuil, quand la seconde est une Chauve-souris aux intonations légèrement moins ardentes mais non moins enrobées.
Chez les hommes, Raphaël Brémard (récent Sergent Larose pour Madame Favart à Limoges) tient les rôles de la Théière, du Petit Vieillard et de la Rainette avec une énergie identique et un même instrument de ténor agréablement timbré et soucieux d’une articulation soignée, à défaut d’être des plus retentissants. Le Fauteuil et l’Arbre se font entendre avec davantage de relief, le baryton-basse Thibault de Damas y dévoilant une ligne au timbre aussi clair que pénétrant, avec des contours austères propres à susciter l’effroi de l’Enfant. Enfin, en Horloge comtoise, le baryton Philippe-Nicolas Martin déploie une voix aux graves chauds et volumineux, et au jeu pleinement engagé.
Placé derrière le voile-écran, l’Orchestre de l'Opéra de Limoges (qui offre en ouverture de concert les Gymnopédies 1 et 3 de Satie en version orchestrale) accompagne ce casting vocal de haute tenue, chacun des pupitres offrant toute la variété des couleurs et des ambiances musicales attendues. Cuivres se délectant de glissandos, cordes dévoreuses de trémolos, percussions retentissantes : sous la baguette de Philippe Forget, tout le monde s’en donne à cœur joie avec un remarquable souci de la juste nuance et de la diversité des tempi. Entourant l’orchestre aux deux extrémités de la scène, le Jeune Chœur de Paris et le chœur OperaKids (composé de jeunes enfants et adolescents issus des quartiers de Limoges) se répondent et se complètent, leur prestation d’ensemble trouvant une quintessence dans le chapitre du Pâtre et de la Pastourelle, où les choristes restituent avec maîtrise une saisissante ambiance monacale.
Musicalement comme dans ses efficaces jeux de lumière, cette production de l’Opéra de Lyon sonne donc en intégrant des effets vidéos modernes dans la mise en scène d’une œuvre lyrique d’un autre temps (une gageure loin d’être toujours couronnée de succès).