Sage Fille du régiment de Shirley et Dino à Avignon
L’humour est question d’équilibre et de tempo : faire rire est un art sérieux, difficile et précis. Dans cette production de Shirley et Dino de La Fille du Régiment de Donizetti, les tempi très modérés choisis par le chef Jérôme Pillement créent ainsi un déséquilibre avec la folie douce des metteurs en scène, au demeurant relativement sages dans leur interprétation de l’œuvre. Faute d'allant dans la battue, la mayonnaise peine à prendre et certains gags tombent à plat. Bien qu’il s’agisse d’une production déjà passée par Montpellier, un faux rythme s’installe et même Dino, pourtant spécialiste du genre, ne parvient pas à faire émerger les bulles dans son soliloque de la première partie. Dans la seconde, plus condensée, son duo avec Shirley, aux interactions mieux huilées, parvient à provoquer l’hilarité par un comique de l’absurde mieux senti.
Dans un décor vidéo permettant à la fois un certain réalisme, des changements d’ambiance rapides et quelques fantaisies (Shirley apparaissant en Vierge rongée par l’ennui ou les inénarrables statues prenant vie pour se dégourdir les jambes), le livret est suivi de manière fidèle malgré des dialogues réécrits, dans lesquels le quatrième mur tombe parfois, avec justesse.
Très juste également, le couple principal rencontre un franc succès lors des saluts. Anaïs Constans campe un rôle-titre bourru, impulsif et coquet, mais tendre et sincère, d’une voix charnue et fruitée s’écoulant avec fluidité. Les aigus sont brillants, les trilles ronds, le souffle certes un peu court par moments. La ligne vocale et le vibrato sont conduits avec subtilité, selon les sentiments du personnage. Julien Dran en Tonio présente un timbre riche et chaud au vibrato appuyé. Malgré quelques effets d’éraillement, il dispose d’une voix bien charpentée, lui permettant de parcourir un large ambitus avec facilité, livrant sans compter ni sourciller une colonie de contre-uts dans son air de bravoure : maintenant sa note jusqu’à la pénultième syllabe, il ajoute en effet deux suraigus aux neuf prévus par la partition. Campant un grand gaillard maladroit, il sait attendrir lorsqu’il se voit séparé de Marie.
Marc Labonnette, collaborateur régulier des metteurs en scène, est un Sulpice attachant car humain et bonhomme. Sa voix manque cependant d’assise, restant du coup dans un registre de caractère. Julie Pasturaud semble s’amuser dans le rôle d’une Marquise de Berkenfield délurée. Sa chaude voix aux graves rutilants manque parfois de volume, mais jamais de puissance théâtrale. João Fernandes (Hortensius et la Duchesse de Crakentorp) a peu d’occasions de mettre en valeur son timbre chaud et charmant, mais il fait de chacune de ses interventions un sketch arrachant des rires nourris du public.
Jérôme Pillement dirige l’Orchestre Régional Avignon-Provence par de grands gestes (y compris dans les plus légers piani), clairs et précis, et en obtient un phrasé doux et une pâte homogène, peu accentuée. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon (aux effectifs masculins trop restreints en nombre, obligeant à former un chœur de soldats mixte et un chœur d’invités uniquement féminin) peine certes à s’accorder rythmiquement, mais il s’investit pleinement théâtralement (y compris dans une parodie de cancan) tout en offrant une texture sonore joliment tuilée.
Le public, relativement discret durant la représentation, accueille l’ensemble des artistes avec bienveillance et enthousiasme.