À Clermont-Ferrand, L'Italienne à Alger se la joue comme à Hollywood
Quatre ans après avoir signé une version déjà fantaisiste d’une autre œuvre incontournable de Rossini, Le Barbier de Séville (spectacle vu notamment à Compiègne et à Vichy), Pierre Thirion-Vallet, metteur en scène et Directeur de la maison clermontoise, use ici des mêmes idées en se frottant au premier dramma giocoso composé par le natif de Pesaro (en 1813) : des jeux de couleurs incessants, un dynamisme perpétuel, et un burlesque sans cesse poussé dans ses plus lointains retranchements. Le rideau pas encore levé, et alors même que la scène est déjà animée (deux personnages y incarnant des clowns-balayeurs chargés de faire place propre aux artistes), le ton est d’ailleurs déjà donné par l’intermédiaire d’une voix-off féminine aux intonations délurées : cette Italienne là se veut la promesse d’un spectacle « plein d’action, de passion...et de loukoums ». Elle se veut surtout l’occasion d’une incursion dans le tournage d’un film « tourné en panavision et en couleurs, au cœur des studios Mustafà », indique cette même voix de speakerine.
Un mouvement perpétuel
Ainsi le spectateur comprend-il bien vite où il se trouve : non pas dans quelque palais ottoman, ni même à l’opéra, mais au cœur d’un plateau de tournage hollywwodien à la grande époque du cinéma américain (le milieu du XXè siècle), le décor principal de Frank Aracil étant constitué d’une caméra géante, et de la pellicule allant avec. Les acteurs de l’intrigue, eux, sont transformés en vedettes de cinéma, pénétrant sur scène sous les feux des flashs crépitant des paparazzi, et grimés en starlettes caricaturales jusque dans leur port (bien trop clinquant) de robes tigrées ou de bijoux suscitant l’envie, certes, mais l’envie de rire avant toute chose. À ce titre, et même si cette transposition « cinématographique » n’est pas vraiment une première (une Vie Parisienne usant de ce même registre anachronique avait été vue dans cette même salle il y a un an), l’ambition de Pierre Thirion-Vallet est couronnée d'un mouvement permanent sur scène à l'image de l'enthousiasme du public en salle : tout au long de ce spectacle, tout n’est que fol entrain et mouvement perpétuel, lumières scintillantes et cocasserie à tout va, la drôlerie déteignant jusque dans les paroles d’un livret revisité pour l’occasion, histoire d’être mis au diapason d’un vocabulaire propre à des stars de cinéma pas toujours patientes, et usant d’un champ lexical loin d’être toujours soutenu (de quoi faire tousser les tenants du strict respect du livret, assurément).
Une chose est sûre : dans cette Italienne moins orientale qu’occidentale, le rire n’est jamais loin, et le public ne manque pas de s’esclaffer souvent devant des jeux de scène particulièrement loufoques et hilarants, à l’image de ces hommes portant grossièrement des palmiers devant un chameau de carton qui semble ainsi avancer dans le désert, ou de ces costumes bien trop grands pour des personnages dont le sort n’en devient que plus risible et burlesque. Rossini et Alger sont loin (toute possibilité d’attendrissement amoureux aussi), les esprits de Fellini et d’Hollywood font loi, et le sort d’Isabella devient presque secondaire face à cet ouragan de situations drôlatiques où l’œil ne cesse jamais de tourner.
Une Isabella éclatante de générosité
Isabella, justement, est campée par une Maria Ostroukhova rayonnante d’un bout à l’autre du spectacle. La mezzo-soprano russe use avec finesse et générosité d’une voix ample et chaudement projetée, aussi bien audible dans les graves que dans des aigus, ne manquant jamais de relief ni de souffle. Les belles vocalises en outre (dont certaines envoyées dans une robe de chambre rose du plus bel effet) suivent aussi l'investissement permanent pour servir un burlesque dans lequel cette Isabella-là semble pleinement s’épanouir. En Mustafà réalisateur de cinéma (mais qui, tourné en ridicule, perd bien vite le fil de son propre film), Eugenio Di Lieto dispose aussi une indéniable aisance dans l’incarnation d’un rôle n’imposant gravité et sérieux que quelques minutes seulement, avant de sombrer dans un ridicule qui en vient à détonner avec le timbre de voix charnu et austère de la basse italienne (qui trouve plusieurs occasions de prouver qu’elle ne manque pas de souffle, en atteste un « contento » tenu sur près de dix secondes dans l’air du Pappataci).
Le Taddeo de Rémi Ortega est fort convaincu également, le baryton français trouvant dans ce rôle l’occasion de mettre en valeur une voix claire et sonore sur toute l’étendue de la tessiture, un total engagement scénique (et des mimiques toujours très expressives) ne venant rien gâcher à la performance générale de ce Caïmacan qui ne règne que sur l’Empire du grotesque. En Lindoro, le ténor Joseph Kauzman suscite davantage de réserves, malgré l’indéniable énergie déployée sur scène dans des habits de loubard des temps modernes (tatouages et veste de cuir rouge). Quoiqu'audible sans difficulté dans l’ensemble des registres, la voix est par trop souvent nasale, et le souffle court dans des aigus qui s’en trouvent soit raccourcis, soit tenus sur le fil d’une justesse aléatoire. En Haly, avec une voix joliment projetée, à la fois claire et résonante, la prestation de Florian Bisbrouck est saluée, tout comme les performances pleines d’entrain et de musicalité de Sophie Boyer et d’Anne-Lise Polchlopek qui, dans leurs robes à carreaux, sont des Elvira et Zulma loin de passer au second plan.
S’il livre une ouverture qui semble légèrement manquer d’énergie, l’orchestre des Métamorphoses monte rapidement en intensité à mesure de l’avancée de la partition, livrant globalement une interprétation investie, le chef Amaury du Closel (un habitué des productions clermontoises) parvenant à obtenir des divers pupitres toute l’énergie et les couleurs requises par l’exécution d’une telle oeuvre. Quant au choeur d’hommes qui sont autant de factotums (tout à la fois machinistes, accessoiristes, peintres ou preneurs de son), il se distingue par une homogénéité et une présence vocale qui en feraient presque oublier qu’il n’est composé en l’occurrence que de six chanteurs.
Un bien joli et rafraîchissant spectacle en somme que cette co-production du Clermont Auvergne Opéra et d’Opéra Nomade, attendue désormais à Abbeville, Neuilly-sur-Seine, Poissy, Perpignan et Saint-Quentin.