Jakub Józef Orliński, récital Facce d'amore au Théâtre des Champs-Élysées
L'acclamation qui salue Jakub Józef Orliński dès son entrée, avant même la première note, prouve la fameuse célébrité déjà acquise par le jeune artiste et semble lui assurer d'avance le succès, mais l'ovation debout à l'issue d'un programme varié et parachevé de quatre bis confirme le statut de tout premier ordre acquis par ce chanteur auprès d'un public parisien venu extrêmement nombreux malgré les problèmes de transport. Le bis "Vedro con mio diletto" extrait d'Il Giustino de Vivaldi fait immédiatement frémir le public, rappelant qu'avec ce morceau, Jakub Józef Orliński a su devenir une star du streaming, le Farinelli de youtube aux millions de vues, contribuant à élargir (ou maintenir ouvert) le public de la musique baroque.
L'autre particularité unique qui a braqué sur lui les projecteurs des médias, jusqu'à la télévision, est sa qualité de champion de danse Hip-Hop. S'il en offre parfois des démonstrations tout en chantant (plutôt dans des opéras mis en scène) et s'il n'a pas la place pour ce faire ce soir au-devant du plateau du TCE et dans son élégant costume vert cintré, cette souplesse corporelle se met au service du phrasé, et du spectacle ! Les pieds ancrés, légèrement de biais dans une posture flatteuse, il se tourne et se cambre sur les phrasés et vocalises. Lorsqu'il ouvre ou ferme sa veste, une partie du public se pâme audiblement avec une pointe de jeu.
Jakub Józef Orliński a ainsi de quoi remplir un théâtre de fans acquis à sa cause, qui éclatent en bravi à la fin de chaque air, après avoir écouté le chant dans un silence profond. Silence d'autant plus appréciable que le volume sonore du contre-ténor reste mesuré et ses accents ténus. Il conserve la montée vers le mezzo forte pour "sventurata" (infortunée), les accents pour Agitata. Idem sur le plan de son ambitus, concentré dans le médium velouté et qui ne plonge vers l'appui poitriné qu'à quelques reprises.
Il n'en parcourt pas moins un très riche catalogue de compositeurs (qui suit presque littéralement le déroulé de son nouvel album Facce D'Amore avec Cavalli, Boretti, Bononcini, Haendel, Predieri, Matteis, Conti). Ce parcours se fait avant tout sur le phrasé du chanteur. L'articulation garde de fait toute sa tendre noblesse, jusques et y compris en assumant la virtuosité des passages les plus rapides. Si les caractères sont de fait atténués, si la colère cède immédiatement à la prière, l'italien est ainsi pleinement intelligible (heureusement, car le concert n'est pas surtitré, alors que le programme avec les textes et quelques éléments biographiques est payant).
Le phrasé et les intentions sont déployées par l'Orchestre sur instruments anciens : Il Pomo d'Oro accompagne le chant mais en prolonge et augmente ensuite les intentions. L'ensemble des cordes prolongeant les phrases par des accents, en un ballet d'archets maîtrisés. Les deux bois se passent le relais pour les longues tenues de notes du continuo et les descentes harmoniques. Le chef Francesco Corti bondit de son siège au clavecin pour énergiser un son toujours contrôlé.
Jakub Józef Orliński récolte le triomphe d'un public qu'il sait charmer, par sa voix et même quelques mots de gratitude en français, dans un sourire toujours radieux. Un plaisir que nos lecteurs peuvent renouveler à pas moins de trois reprises cette saison, en réservant pour Serse au TCE, Pasticcio ou son Récital à Versailles