La Périchole pour les fêtes à l'Opéra Royal de Versailles
La coproduction scénique élaborée par l'Opéra National de Bordeaux (notre compte-rendu de la première bordelaise) et le Palazzetto Bru Zane témoigne d'une connivence entre
l'orchestre et les chanteurs : la fusion qui en résulte est source
de jouissance pour le public versaillais. Pour cette production, le choix est fait de raccourcir l'opéra pour en
faire deux séquences de cinquante minutes seulement. Si quelques longs dialogues sont retranchés, c'est aussi le cas d"airs attendus, rendant le dernier acte un peu exsangue.
Célèbres pour leurs relectures d'œuvres baroques comme pour leurs interprétations d'opéras français du XIXe siècle, Les Musiciens du Louvre offrent d'exquis soli de violoncelle, de flûte ou de clarinette. Marc Minkowski sait rendre avec passion les vifs contrastes de l'ouverture, allant de tempi emportés à de délicats pianissimi annonçant au ralenti les thèmes à venir. Beaucoup d'inflexion dans sa gestuelle d'une tendresse débonnaire, et quelques rubati (souplesses rythmiques) introduits dans la partition, notamment “Dans ces couloirs obscurs”, joué prestissimo.
Soulignant la verve noire et caustique de la dramaturgie proposée par Romain Gilbert, la scénographie de Mathieu Crescence, regorgeant de paillettes et de squelettes, donne à la fois dans le macabre et le music-hall. Nul doute que le dramma giocoso est ici tout aussi dramatique que joyeux, les marionnettes de Jean Sclavis soulignant fortement le thème de la manipulation sordide.
Bardée de prix, révélation classique de l’ADAMI en 2010, la mezzo-soprano Aude Extrémo donne une fois de plus la mesure de son talent affiné à l’atelier lyrique de l’Opéra Bastille –où elle sera la Maddalena de Rigoletto. D'une puissance qui a fait ses preuves dans La Walkyrie, elle a fière allure dans l'Air de la Lettre où elle déploie une voix fastueuse à la projection décomplexée, au phrasé éclatant où luisent les ors et les joyaux du Second Empire. Cependant, son “Que les hommes sont bêtes” n'a pas la légèreté et l'esprit voulus et reste, cette fois, au premier degré. Ce n'est pas le tempo, très ralenti par le chef d'orchestre, qui le revivifie.
Le ténor François Rougier montre toute son aisance en Piquillo, très en forme au premier acte avec un legato et des ports de voix langoureux. Bien qu'il soit parfois couvert par l'orchestre dans les actes suivants, le public se délecte de sa voix suave et de son sens des nuances. Puissant à souhait, peut-être même un peu trop robuste pour le rôle, le baryton Alexandre Duhamel campe un grandiose vice-roi d'une drôlerie et d'une expressivité auxquelles les spectateurs ne résistent pas. Grâce à son timbre lumineux et son talent d’acteur, il sert à merveille la dimension comique de son personnage charismatique.
Familier d'Offenbach, Éric Huchet montre un vrai bonheur en Panatellas, tout comme Anas Séguin qui s'amuse beaucoup en Hinoyosa : leur duo “Les maris courbaient la tête” emporte l'adhésion du public avec facilité. Leur déclamation est aussi idéale que celle du ténor franco-italien Sebastian Monti, premier notaire agile et audacieux, à la voix sans aspérité ni contrainte. Et l'autre notaire François Pardailhé se distingue par un timbre harmonieux, suave, et autant de diction que d'esprit.
Les cousines ne manquent pas de piquant : pleine de finesse et de charme, la soprano Olivia Doray allie une technique irréprochable à des aigus argentins. Mention spéciale pour la Gabonaise Adriana Bignagni Lesca, qui prête sa voix ample et somptueuse à la cousine Mastrilla, puis à la dame d'honneur Brambilla, aux côtés des autres mezzo Marie-Thérèse Keller, qui offre une Ninetta à la diction impeccable et Julie Pasturaud, éblouissante en Berginella et en Frasquinella.
Pour dynamiser encore le tout, le Chœur de l’Opéra de Bordeaux affiche une présence scénique très mobile et fait danser les voix avec une exubérance qui swingue sous la préparation de Salvatore Caputo. Le public emballé laisse éclater sa joie par des bravi bien en rythme, et repart en chantonnant.