The Pajama Game, Renaissance d'un musical syndical
Grève, conflit social et lutte des classes swinguent à la chaîne dans l'usine de pyjamas de la marque Sleep tight dans l'Iowa. Tout le public se lance avec enthousiasme dans le "game", dans le jeu mais aussi dans le sens du "business" du pyjama. Pourtant l'histoire est loin d'être à dormir debout, bien au contraire elle vise à ouvrir grand les yeux des spectateurs sur les enjeux sociaux.
Le Théâtre de la Renaissance à Oullins, à quelques stations de métro de l'Opéra de Lyon et du Théâtre de la Croix-Rousse (trois co-producteurs du spectacle) pourrait difficilement mieux coller à l'actualité et aux lieux avec ce Pajama Game. Nous sommes certes bien loin du Saint James Theatre de New York (où cette comédie musicale fut créé en 1954) et encore davantage de l'Iowa où se situe cette usine, mais cet opus sur une lutte syndicale pour obtenir une augmentation du salaire horaire (le livret de George Abbott et Richard Bissell est basé sur le roman 7 1⁄2 Cents écrit par Richard Bissell en 1953 seulement un an avant qu'il n’inspire ce musical, quatre ans avant l'adaptation cinématographique) dans une usine textile fabriquant des pyjamas, résonne puissamment ici, en pays lyonnais, le pays des canuts et de leurs Révoltes historiques (pour un salaire garanti dans les filatures).
Un spectacle qui rappelle énormément 7 Minuti, créé à Nancy : compte-rendu
Le spectacle qui résonne tout autant avec l'actualité (en cette période de grèves sociales nationales), culmine dans une grève sur scène. Les ouvrières entonnent et enseignent même au public des slogans de lutte. Toute la salle (noyée de lumière rouge) rejoint le mouvement, frappant des pieds et des mains en rythme comme dans un cortège, attachant même autour du bras le bandeau de tissu rouge distribué à l'entrée du spectacle. La dimension sociale actualisée de l'opus est d'autant plus brûlante qu'il naquit aux USA en plein MacCarthysme (chasse aux sorcières contre les idées communistes) et encore renforcée par le fait que ce sont des femmes à la chaîne, qui se rebellent contre le joug des hommes (contremaître espion, Directeur paternaliste).
La mise en scène de Jean Lacornerie (ancien directeur du Théâtre de la Renaissance, actuel de la Croix-Rousse et collaborateur à l'Opéra de Lyon) et Raphaël Cottin enchante la triste condition ouvrière. Dans la tristesse du décor, une usine dans les années 1950 aux murs gris et lumières halogènes, dansent les ouvrières parmi un ballet de pyjamas qui défilent à travers le plateau sur des cintres et tringles mécaniques.
Le genre de la Comédie musicale impressionne encore et toujours avec ses interprètes qui doivent multiplier (et coordonner) les talents : jeu, chant et danse. Mais ici, la production y rajoute un incroyable défi, en exigeant un quatrième talent, puisque les interprètes sont également, tous, instrumentistes (de fait, plus une scène a d'acteurs, plus l'accompagnement est réduit, et vice versa dans un étonnant effet de symétrie musicale). Artistes plus que complets, ils déploient constamment un grand abattage théâtral et musical. Les échanges fusent et bondissent, en solidarité syndicale ou en lutte des classes, en amour et en haine. Le conflit social et sa résolution se double en effet d'un nœud amoureux : les amours compliquées du nouveau Directeur de l'Atelier et de la responsable du Comité social et économique, membre de deux mondes en lutte des classes, Roméo et Juliette à l'usine de pyjamas.
Musique et chansons, signées Richard Adler et Jerry Ross dont Gérard Lecointe signe les arrangements et qu'il dirige depuis ses percussions, tissent et mêlent les différents styles : blues, jazz hot ou cool, swing, blues, barber shop (esthétique vocale serrée et riche), balade à la Chantons sous la pluie. Le tout culminant dans une grande fête patriotique avec fanfares et drapeau, picnic d'entreprise confondant team building et patriotisme.
L'ensemble est rythmé par le bruit des machines à coudre à la chaîne et porté par un trio en bleus de travail (avec Gérard Lecointe, Sébastien Jaudon au piano et Daniel Romero à la contrebasse) comme un continuo mais jazzy. La vie est cadencée par la trompette qui sonne l'embauche et le woodblock dont le contremaître se sert comme d'un chronomètre.
Le spectacle enchaîne parlé (dans les traductions françaises de Jean Lacornerie) et chanté en anglais, suite de variations sur des airs immédiatement plaisants et mémorables. Des tubes dans autant de styles divers : ballade Hey There, tango inoubliable Hernando’s Hideway, puissant Steam Heat, frondeur I’m not at all in Love, duo entremêlé I’ll Never Be Jealous Again, rythmique Think Of The Time I Save et même du western country There Once Was A Man.
Dansant en chorégraphies sur les luttes syndicales et la souffrance au travail, en tenues multicolores entre le pyjama et la tenue de travail, les voix ont des accents très américains (pour la quasi intégralité du plateau), des timbres pincés très nasaux, typiquement yankees et musical, sonores et passant fort dans les microphones.
Les voix sont comme les pyjamas, doux, épais et chamarrés. Le Directeur de l'atelier Sid aurait voulu être un accordéoniste, cela tombe bien son interprète Vincent Heden joue de l'accordéon. Lui revient la grande chanson de crooner, un peu serrée dans les aigus et raccourcie sur certaines phrases, mais afin de se ménager pour de longues tenues finales, droites puis vibrées, très musical(es). En duo avec son ombre (il enregistre une première fois son "Hey There", puis chante des variations pendant que le son enregistré est rediffusé et qu'une projection donne l'impression que c'est son ombre qui chante). D'autant qu'il chante deux fois cet hymne à l'amour impossible : quand un Directeur aime une syndicaliste, ils pleurent deux fois. Avant d'accepter leur amour et après avoir été contraint d'y renoncer (mais finalement ils seront réunis grâce à la victoire syndicale). La meneuse du syndicat, des sabotages (machines cassées, cadence ralentie pour anéantir la productivité, la musique et les gestes des acteurs ralentissant alors aussi à l'extrême), Katherine "Babe" Williams est incarnée par Dalia Constantin -également saxophoniste- aussi intense dans les débats syndicaux que les ébats amoureux.
Zacharie Saal campe Hines, responsable de production, maître des horloges et de la pointeuse, bien en rythme et en cadence dans son chant, comme il se doit, à ce point obsédé par le temps qu'il dort habillé pour gagner du temps, se rase dans son lit et creusera lui-même sa tombe pour aller plus vite voir Saint-Pierre. Le grand patron-propriétaire Orwellien, Hasler, ne s'exprime que via un mégaphone au plafond pour aboyer ses commandements (la voix de Pierre Lecomte est aussi intense que son jeu à la clarinette est souple).
Marianne Devos caractère aussi sûr de Brenda, qu'en violoniste. Alexis Mériaux, jouant Prez et à la trompette résonnante, cuivrée et fanfaronnante. Marie Glorieux douce et tendre Poopsie et flûtiste. Amélie Munier qui tient également le saxophone timbré (et joue Gladys). Cloé Horry chante Mabel et joue du violoncelle avec une verve assurée et comique. Mathilde Lemonnier est Mae et joue de l'alto en soutien juste dans les ensembles.
Le directeur d'atelier trouve le livre à double comptabilité et découvre que l'augmentation de 7½ cents était comptée depuis des mois, il obtient donc pour les ouvrières l'augmentation et même de manière rétroactive.
Les femmes chantent alors leurs rêves de fortune. Malgré cette augmentation misérable de quelques cents, multipliés par le nombre d'heures travaillées sur 5 ans, elles pourront s'offrir en 5 ans un aspirateur, en 10 ans un Scrabble aux lettres d'or ! Et au bout de 20 ans devenir Cléopâtre et même racheter l'usine pour se venger des patrons et de leur condition.
Le public fait un triomphe à cette production, de quoi lancer sa grande tournée : au Théâtre de la Renaissance d'Oullins, à la Croix-Rousse de Lyon, puis Le Nest à Thionville, les opéras de Rennes, Angers, Nantes, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, les Maisons de la Culture de Nevers, Bourges, les Scènes nationales de Mâcon, Saint-Nazaire.