Gala Berlioz, provençal et romantique : Rhorer & Le Cercle de l’Harmonie
La soirée s’annonce comme un gala, dont l’invité de marque est Berlioz, avec Rossini et Wagner. Les portes du programme s'ouvrent grand comme celles du théâtre accueillant un public éclectique. Des pages fortes et monumentales (La Damnation de Faust, La Symphonie Fantastique, Tannhäuser), alternent avec d’autres, contenues et méditatives (Nuits d’été, Romance du Saule d’Otello), suivant une direction musicale engagée et réfléchie. Elles puisent dans un vivier dramatique et romantique, pluriel et ouvert questionnant les liens et les frontières entre verbe et son, dans l’opéra, l’oratorio et la mélodie avec orchestre.
Le chef Jérémie Rhorer avance à la force du projet et du poignet, engagé.
Sa direction semble se
nourrir de sa formation de compositeur et d’orchestrateur. Il
projette, depuis sa fine baguette, une lecture intérieure de la
partition. La gestique, aux arabesques mesurées, appelle et souligne
finement chaque pupitre, afin que tout puisse lisiblement s’entendre
des alliages « spectraux » entre formes, timbres et
textures (Ouverture du Barbier de Séville, Bal
de la Symphonie
fantastique).
La connivence est de mise entre un chef et un ensemble dirigé au
musicien près.
Paradoxalement, ce sont les plus nombreuses cordes qui y répondent comme un seul homme et qui déploient la soie moelleuse d’un grand tapis frémissant ou crépitant. Elles maintiennent, notamment les contrebasses, la musique entre surgissement et évanouissement, dans ses étirements, expansions et explosions, toujours duveteuses (Danse des Sylphes). Il devient dès lors plus difficile aux vents, bois et cuivres, de s’insérer dans l'harmonie sans jouer sa partie d’une manière franche et directe. Harpes, très exposées, et percussions, tenues et ténues, ourlent les tessitures extrêmes de l’ensemble.
La mezzo-soprano Éléonore Pancrazi a la jeunesse auréolée de distinctions (révélation lyrique Adami et Victoire de la musique classique, pensionnaire de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence). Ses deux interventions, Le Spectre de la Rose, extrait des Nuits d’été de Berlioz, et La Romance du Saule, d’Otello de Rossini, ont l’inquiétante étrangeté d’un chant venu de l’au-delà. Elle relève ce défi d’équilibrisme (voix-orchestre) consistant à traduire vocalement et physiquement l’écho et la réminiscence, avec agilité, grâce aux froufrous de ses vibratos et son sens de la couleur. Elle module de manière à produire de nouveaux alliages avec l’orchestre, graves pleins et aigus pailletés. La longueur de souffle, la diction, le sens du phrasé permettent à la chanteuse de déplacer la mélodie et l’air vers le mélodrame et de leur donner une épaisseur supplémentaire, qui vient pallier un certain manque d’amplitude vocale.
Le Chœur du Conservatoire Darius Milhaud (ensemble d’étudiants et d’amateurs préparés par Jérôme Cottenceau), à l’écoute attentive de l’orchestre, intervient avec félicité dans des pièces qui privilégient les effets de masse (L’Adieu des Bergers dans L’Enfance du Christ de Berlioz, le Chœur des Pèlerins dans Tannhäuser de Wagner).
Deux bis, ardemment réclamés par le public, placent définitivement la soirée sous le sceau des identités nationales composées. La Marseillaise, orchestrée par Berlioz, réunit la scène et la salle dans une ferveur d’autres lieux et d'autres temps, tandis que la reprise de la Marche Hongroise, du même Berlioz (La Damnation de Faust), montre combien la musique, bien pensée et composée, sait se faire perméable à tous les jeux d’identité.