Grève nationale, la série noire à l'Opéra se poursuit
Le bandeau d'informations en haut du site internet de l'Opéra national de Paris ne cesse de s'étirer : "Message aux spectateurs des représentations des 5, 6, 7, 8, 9,10,11 et 12 décembre 2019"
La page spécialement mise en ligne pour lister les annulations ne cesse de s'allonger. Longue comme une semaine sans musique. Presque tous les spectacles ont été annulés depuis le 5 décembre :
5 fois le ballet Raymonda de Noureev à Bastille
5 fois le ballet Le Parc par Preljocaj à Garnier
2 fois le spectacle tout public Bastien et Bastienne à l'Amphithéâtre Bastille (les deux représentations en matinée de Bastien et Bastienne, se sont bien déroulées les 9 et 11 décembre, dans une ambiance bon enfant mais des couloirs tristement vides et silencieux)
La dernière du Lear de Reimann par Calixto Bieito à Garnier (compte-rendu de la première)
2 fois Le Prince Igor de Borodine par Barrie Kosky à Bastille (compte-rendu)
Victimes collatérales de l annulation du ballet "Raymonda" @BalletOParis dimanche 8, les centaines d' enfants invités à l' Opéra Bastille dans le cadre du programme caritatif "Matinée Rêves d'enfants" soutenu par les mécènes de l'AROP. On imagine leur chagrin et déception
— sylvie collin (@sylviecollin2) 9 décembre 2019
Le manque à gagner dépasse déjà 2,4 millions d'euros pour l'établissement lyrique parisien, et ce uniquement pour ce qui concerne la billetterie. S'ajoute en effet au déficit l'impossibilité de vendre des programmes ou de la restauration sur place les soirs de spectacles, ou encore les visites payantes des bâtiments.
L'institution et les artistes le confirment : seuls les salariés qui se déclarent grévistes ne seront pas payés (et ils peuvent se déclarer gréviste -rejoignant le préavis de grève reconductible- jusqu'à leur prise de service le jour même du spectacle, parfois 20 minutes avant comme ce fut le cas au premier jour du conflit).
L'Opéra se dit contraint d'annuler les représentations même lorsqu'une petite part de l'équipe seulement manque à l'appel : quelques musiciens absents et l'orchestre ne peut jouer, quelques membres de l'équipe technique en moins et la sécurité n'est plus assurée.
Si les artistes (y compris les solistes, ceux rémunérés en cachets ou en CDD) et les permanents non grévistes sont payés sans pouvoir travailler, ils ne s'en réjouissent pas pour autant. Loin de là. Chaque jour, ils sont dans l'incertitude, dans l'attente que le spectacle soit annulé ou non. Le stress et la frustration de ne pouvoir partager le fruit de leur travail acharné s'ajoutent à l'inquiétude vis-à-vis de la pérennité de cette institution. La situation entraîne également un climat délétère, entre grévistes et non grévistes. On se regarde en chiens de faïence d'autant que la division se cumule avec celle entre titulaires du public d'une part et précarité intermittente de l'autre.
Les perspectives pour la suite ne sont pas plus réjouissantes. Les négociations sur le régime de retraite portant sur un plan national, elles concernent le ministère et au-dessus. L'Opéra ne peut donc qu'attendre, jour après jour, constater et informer des annulations.
Notre précédent papier, sur les débuts du mouvement
À Radio France également, la situation ne progresse pas : outre une pétition publique ouverte à signature, des salariés et contributeurs appellent toutefois leur direction au dialogue.
Hors de l'Opéra de Paris et de Radio France, les concerts et spectacles ont bien lieu, malgré l'annulation d'une date pour Les Noces de Figaro au TCE, ou encore la menace qui pesait sur la première du ballet Cendrillon à l'Opéra de Bordeaux (qui s'est bien tenue hier soir).
Cela étant de nombreux producteurs de spectacles confient le casse-tête d'organisation et les grandes inquiétudes financières causées par les grèves. Les grèves de transport notamment, menacent doublement les spectacles. Du côté des spectateurs, qui rencontrent des difficultés pour se rendre dans les théâtres, ce qui entraîne une menace sur les taux de remplissage. Du côté des interprètes également : les trains annulés sont certes remboursés, mais pas les frais et surcoûts provoqués lorsqu'il faut trouver un mode de transport ou d'hébergement en catastrophe. Ainsi cet ensemble baroque en vue que le producteur a dû mettre dans un car à 4h30 du matin pour rallier deux lieux de concerts (Toulouse-Genève). Un exemple parmi bien d'autres et d'une série qui ne semble pas prête de finir.