Véronique Gens & Marie-Nicole Lemieux, Stabats oxymores au TCE
Le programme proposé par le cycle de concerts Les Grandes Voix au Théâtre des Champs-Élysées, devant un public venu nombreux malgré les grèves, est un oxymore et même plusieurs : entre les opus interprétés, entre ses interprètes. Les œuvres du baroque italien opposent en effet ce soir la spiritualité du Salve Regina et des Stabat Mater, avec la flamboyance du Concerto pour violon de Vivaldi. Les instrumentistes assument à eux seuls cet oxymore. Dans le Concerto qui s'y prête naturellement avec sa structure traditionnelle enchaînant mouvements vif-lent-vif, longues tenues et déchaînements virtuoses. Mais justement, comme si l'oxymore était déjà assez présent dans cet opus et dans tout le reste de la soirée, le soliste Thibault Noally joue assez strictement les notes de la partition, sans rajouter de folie interprétative à des lignes déjà riches. S'il se place certes au milieu de la scène pour ce moment de concertiste, il reste surtout tourné vers son orchestre, les dirigeant par son jeu et autant de mouvements d'archets en leur direction que sa partie bien occupée lui en laisse le loisir. Le chef-violoniste et l'ensemble instrumental proposent un autre oxymore lorsqu'il s'agit d'accompagner les voix : précisément en se faisant accompagnateur discret tel un écrin, pour ne resurgir que brièvement entre les phrasés de la chanteuse.
L'oxymore évident de ce concert s'annonçait dès la publication des noms à l'affiche, il devient évident lorsque Véronique Gens et Marie-Nicole Lemieux chantent chacune à leur tour, il se confirme lorsqu'elles reviennent chanter ensemble.
Véronique Gens interprète seule le Salve Regina de Scarlatti en appuyant son caractère de prière contenue. La pose reste sobre et un peu sombre, comme sa robe noire et sa voix. Les mains se joignent en prière lorsqu'elles ne tournent pas sa partition, comme les pages d'un grimoire. La soprano d'Orléans joue d'effets vocaux essoufflés, d'appuis sur une voix blanche qui se déploie par vagues d'élans. Fronçant encore le sourcil pour les vocalises, les appuis des grands accents sont marqués, les aigus trop bas. La voix reste peu sonore mais le timbre se tisse sur son médium velouté conservant la prosodie d'une prière in petto, la nostalgie noble de la Vierge Marie qu'elle salue (Salve Regina).
Cette mère qu'elle salue de loin est toutefois son inverse : Marie-Nicole Lemieux chante la douleur de Marie au pied de son fils crucifié (Stabat Mater) comme un oratorio, un opéra religieux dramatique. Si la projection est également contenue au début, l'intensité est immédiate et ne fait que croître. La chanteuse ralentit le tempo et renforce l'intensité jusqu'au tremblement vocal et un râle final. Sa robe même renforce l'oxymore avec sa sobre couleur noire mais étincelée d'une fleur métallique sequinée (non sans rappeler l'esthétique Art Nouveau du Théâtre).
Les deux artistes se rejoignent pour le Stabat Mater de Pergolèse. Chacune conserve son caractère vocal, formant l'oxymore qui définit la musique et le sens de cette œuvre : faire dialoguer puis marier une voix de soprano et une voix de contralto, comme l'union de la plus terrible des douleurs (une mère voyant son fils mourir) au service de la plus absolue rédemption.