Les mille et une facettes d’Adèle Charvet aux Bouffes du Nord
Une arrivée sur scène tout sourire sur des applaudissements déjà chaleureux. Il semble qu’Adèle Charvet a déjà conquis le public venu assez nombreux ce soir aux Bouffes du Nord pour écouter le programme étonnant et vivifiant que la jeune mezzo réserve dans son CD « Long time ago » fraîchement paru chez Alpha. Un répertoire 100% anglo-saxon, partagé entre New York et l’Angleterre, où les frontières entre les genres musicaux semblent s’évanouir. La mélodie côtoie chansons de cabaret et airs plus jazzy, les noms de Aaron Copland, Vaughan Williams, ceux de Benjamin Britten, Glen Roven, Jake Heggie ou Charles Ives. Des pièces choisies avec attention, mettant en valeur des compositeurs et un répertoire rarement entendus tout en passant par un éventail de sentiments kaléidoscopiques.
Confiante dès les premiers instants sur scène, Adèle Charvet transporte rapidement son public dans un récital haletant, tenu tout au long avec le même enthousiasme. Celui-ci prend forme, non seulement par la force vocale, mais aussi par un engagement scénique qui relève le sel des pièces convoquées. À chacune, la mezzo semble incarner un nouveau personnage, explorer un nouvel aspect de son jeu. La nostalgie de la brève Remembrance aux lignes suspensives et mystérieuses, mène à l’ivresse mordante de la Song of a nightclub proprietress de Madeleine Dring incarnée par des aigus hachés et délavés (I am ill and old and terrified and tight) ou la légèreté charmante des pièces de cabaret (Amor de Bolcom, ou Johnny de Britten) d’une verve narrative.
Au sein de cette diversité se retrouve une même attention à la diction qui fait résonner la langue de Shakespeare. Les partitions au tempo mesuré profitent du legato, à l’instar du Silent Noon de Williams. Aux aigus sopranisants de ce répertoire, la mezzo semble préférer des médiums plus corporels dans le registre du jazz où les sonorités gospels et les glissandi sont portés avec une riche sensualité.
Outre la performance de la chanteuse, le récital tient sur sa complicité avec la pianiste franco-américaine Susan Manoff qui assure le spectacle tout autant que la chanteuse. Un accord réunit les mouvements expressifs du piano et de la voix, dont les courbes expressives semblent reliées par un même fil. Aux commandes du Steinway, l’interprète épouse avec esprit le caractère de chaque pièce. Les suspensions poétiques enrobées de pédale du « Long time ago » ou le jeu bien plus racé de « Johnny » font allègrement chanter le piano.
La mezzo revient à la mélodie française en bis avec « S’il est vrai, Chloris » de Reynaldo Hahn tout en intensité, suivi d’un Deep River très spirituel achevé entonné bouche fermée en une tenue suspensive, avant de revenir à l’Amor de Bolcom pour gagner le cœur d’un public conquis.