Platée, ou le grand détournement au TCE
Si l’ouvrage mobilise déguisement et travestissement, il est ici présenté en version de concert. Reste une mise en espace minimaliste, mais comprise par les voix qui s’adonnent à une même verve théâtrale et comique. L’espace devient ainsi un terrain de jeu pour des prises de partie plus ou moins spontanées, à l’instar des selfies de La Folie ou des agissements gnomesques de Mercure qui accompagnent certes la musique mais restent parfois superficiels. De quoi laisser sceptique sur l'emportement possible dans une version de concert pour un tel ouvrage.
Dans le rôle-titre, Anders J. Dahlin peine à incarner le rôle de la nymphe avec justesse. Le sur-jeu n’est jamais bien loin, et amène à rendre ridicule un personnage que Rameau gratine déjà. La voix projette assez difficilement et manque d’homogénéité. Les aigus limpides et brillants attendus de la part d’un haute-contre sont trop rares. La théâtralité de l’intonation prime sur la voix qui devient irrégulière. La diction reste par ailleurs perfectible (les « u » tirent vers les « ou », quelques sons muets sont chantés). Face à lui, Thomas Dolié est un Jupiter convaincu. Le chanteur soutient avec assiduité des basses profondes et impose une prestance régalienne tout au long de l’ouvrage par une gestique et une intonation inébranlable (« Charmants objets de mes dignes amours »). D’abord encline à une grâce paisible dans le rôle de l’Amour, Chantal Santon-Jeffery devient une Folie indisciplinée et capricieuse. Impatiente face au long prélude instrumental introduisant son air « Adorez tous mon art célèbre », elle interrompt le chef, regarde son téléphone, prend des selfies, etc. autant d’initiatives drolatiques aux airs d’opérettes. La voix se joue des codes et en montre dans le même temps une grande maîtrise : détournant l’emphase, le ricanement et les sanglots aux seules fins du rire, la soprano montre ensuite une ligne de voix délicate laissant éclore projection aisée, timbre de voix agréable et tenues doucement vibrées.
Nicholas Scott semble arriver sur scène encore enivré dans le rôle du poète Thepsis, la veste sur l’épaule et les cheveux en bataille. Si la voix possède le brillant des aigus nécessaires pour cette tessiture, elle montre cependant des oscillations dans l’attaque, avec des fins de phrases aspirées qui font du poète un personnage à bout de souffle. Elles se font plus assumées dans le rôle de Mercure où piani comme forte gagnent en précision et en régularité. La basse-taille Arnaud Richard dans le double rôle du satyre et de Cithéron montre une allégresse charmante dans le chant, avec un legato bien filé. Un enrobé dans la voix adoucit les basses et des médiums chantants qui dans l’air « Dieu, qui gardez l’univers dans vos mains », résonnent lyriques et pleins d’un léger vibrato.
Dans le triple rôle de Thalie, Clarine et la jalouse Junon, Hasnaa Bennani est une voix douce et soyeuse de timbre. Elle se révèle dans les longs traits filés avec grâce comme dans l’incarnation de la furie empreinte de jalousie, dont la cadence effrénée des lignes est parfois difficile à suivre. Le Momus de Victor Sicard est tonitruant dès son arrivée pendant la parade parodique du mariage de Platée. Également épris du parodique, le chanteur ne perd cependant pas sa ligne et honore sa tessiture de taille (ténor) avec des médiums réguliers et boisés.
Les voix en chœur des Ambassadeurs assument leur passage avec une grande homogénéité de ton. La liesse de l’« Honneur à la Folie » comme la ferveur du « Hé, bon, bon, bon » sont d’une efficacité comique indéniable. Le corps instrumental se montre dès l’ouverture dans un esprit gioccoso et rieur qu’il maintient tout au long de l’ouvrage. Les notes répétées, les longs points d’orgue comme les dialogues entre les tessitures donnent la tonalité de l’interprétation à venir. La partition sonne bien souvent avec un esprit de second degré qui porte les voix. Cela est sans compter l’engagement constant que montre Alexis Kossenko dans une direction qui assure à elle-même le spectacle et porte l’ensemble dans une même dynamique. Piquée d’enthousiasme, elle suscite quelques mouvements de danse donnant l’impression d’une estrade trop petite face à de telles envolées !
De vives acclamations sont réservées à l’équipe artistique pour une version de concert très bouffe d’un ouvrage qui appelle décidément la version scénique.
Un triomphe hier soir pour Platée au Théâtre des Champs-Elysées !!! Bravo à tous les Ambassadeurs, orchestre et choeur, à nos solistes. Merci pour votre engagement, votre énergie, votre enthousiasme et cette fantastique humeur sur scène dun bout à lautre de louvrage !! pic.twitter.com/d6UrEvKjOg
— Alexis kossenko (@alexis_kossenko) 3 décembre 2019