Le Voyage dans la Lune : l’art du fantasque Offenbach par Operacting
Œuvre rarement donnée, Le Voyage dans la lune, inspiré de Jules Verne, suit trois terriens, le Roi Vlan, son fils Caprice, et son scientifique Microscope, dans leur
quête lunaire. Les jeunes premiers, Caprice et la Princesse sélénite
Fantasia, déclenchent la « maladie » de l’amour, alors
inconnue du peuple de la Lune. Operacting propose une adaptation de
l’ouvrage original en cinq actes, par une intrigue condensée et
des morceaux soigneusement choisis. L’Ensemble Zoroastre et le
plateau vocal sont placés sous la baguette attentive de Savitri de Rochefort, particulièrement investie tant pour son orchestre que
pour ses chanteurs. Situés au même niveau que les spectateurs, les
instrumentistes parviennent à maintenir un équilibre sonore avec la
scène, permettant aux voix de passer aisément la rampe.
L’espace de jeu est circonscrit à l’avant-scène, le fond de scène étant obstrué par un cyclorama évoquant les paysages lunaires dans lesquels les personnages évoluent. La profondeur de la scène de la salle Rossini (mairie du 9e arrondissement), qui se devine derrière l’écran blanc de projection, aurait peut-être permis une plus grande fluidité de déplacement aux chanteurs qui y semblent à l’étroit et parfois sans repères. Le temps et les lieux sont efficacement évoqués par les costumes de Françoise Delarue : un XIXe siècle victorien pour les terriens et une variation sur le thème de la classique combinaison métallique pour les sélénites. La distance technologique entre les deux peuples, présentée comme fil conducteur par la note d’intention, se révèle davantage être un clin d’œil qu’une clef de voûte du spectacle, par les animations en image de synthèse et l’hoverboard sur lequel se déplace le monarque sélénite.
La mise en scène d’Alexandre Camerlo ne donne pas toujours l’occasion aux chanteurs de libérer leur jeu d’acteur : ceux-ci se retrouvent parfois en position de récital, sans ancrage véritable avec la scène théâtrale. Si certains demeurent parfois hésitants dans l’espace scénique, les duos, trios et ensembles, révèlent la complicité enjouée des interprètes.
Charlie Guillemin (ténor) se glisse avec aisance dans l’habit de l’extravagant Roi Vlan. Son timbre large et puissant s’épanouit dans ce rôle, notamment dans son air d’introduction « Vlan, Vlan, je suis Vlan », mémorable de charisme et d’entrain. Le ténor Mathias Manya, interprète du Prince Caprice, est d’abord timide : il présente une voix plus proche de la chanson que de l’art lyrique et manque de souffle sur les fins de phrase, rendant certains mots inaudibles. Bien que ses aigus demeurent fragiles, il retrouve son assurance durant le spectacle et rend à son timbre clair toutes ses harmonies lyriques. La Princesse Fantasia d’Aviva Timonier (soprano) domine la distribution par un contrôle remarquable de son instrument. Sa voix pleine joue dans les aigus et les suraigus avec agilité et aisance jusque dans les pianissimi. Elle déploie des vocalises en élégance et simplicité, ornées par un phrasé savant. Hugo Tranchant (ténor, Microscope) offre un timbre brillant, particulièrement vaillant dans les aigus, et Marc Schweitzer (ténor, Cactus), dont le rôle est davantage parlé que chanté, s’illustre cependant par un beau médium. Olivier Déjean met sa prestance, la rondeur de son timbre et ses graves de basse, au service du roi sélénite Cosmos. Sa femme Popotte, incarnée avec malice par la soprano Fanny Pytkiewicz-Déjean, tend à détimbrer sa voix dense dans le médium et le grave tout en offrant des aigus assumés et puissants.
La richesse se déploie par-dessus tout dans les ensembles vocaux. Les voix sont équilibrées et les artistes portent avec une joie visible et espiègle la musique d’Offenbach. Le final de la neige (« Courons tous ») forme l’apothéose du spectacle : les chanteurs assumant les difficultés de la partition et ses changements de tempo et de caractère, en partageant avec le public un plaisir évident à voyager vers la lune par cet opéra-féerie.