Peintures musicales de Ravel par Roth et Les Siècles à la Philharmonie
Un concert historique. Voilà ce qu’affirme un François-Xavier Roth enthousiaste à la fin du spectacle. S’il l’est en effet, c’est par son intention programmatique. Le chef et son ensemble sur instruments d’époque présentent le fruit d’un travail éditorial sur l’une des partitions orchestrales les plus connues de Ravel : l’adaptation des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Est ainsi présentée une « nouvelle » édition 2019 composée à partir d’études du manuscrit orchestral de 1922, du texte pour piano de Moussorgski, de la première édition de 1929 et des versions pour piano de Rimski-Korsakov. Une œuvre phare complétée en première partie par trois peintures d’un ailleurs fantasmé : la Barque sur l’océan, la Rhapsodie espagnole et Shéhérazade où se retrouve Isabelle Druet.
Vêtue d’une ample robe, la chanteuse s’avance sur scène et embrasse d’emblée la salle avec des « Asie » pleins d’un charme mystérieux sur des cordes caressées du bout de l’archet. La partition disposée sur le côté tient le rôle de mémo, laissant à la chanteuse l’espace pour un engagement théâtral apprécié et une verve narrative indéniable. Si la voix manque d’homogénéité dans le passage entre les aigus et les médiums, elle montre cependant un joli timbre de mezzo avec le caractère et le corps attendu à l’évocation des assassins. Les aigus resplendissent légers et sonores, en particulier dans la deuxième partie où ils se font ductiles et flottants en dialogue avec les mélopées de la flûte traversière (« L’ombre est douce et mon maître dort »). Les ornements qui ponctuent le discours, à l’instar des glissandi et de légers mouvements chantés avec du rubato (tel un bref épanchement) sont du plus bel effet et s’accordent à la grande sensualité de l’œuvre. Il faut souligner à cet égard la partie prenante des Siècles dans la réussite de cette interprétation : bien dosé par son chef, l’ensemble installe avec brio des atmosphères à demi-rêvées. Les balancements légèrement indolents de la troisième partie sont particulièrement appréciés.
Retour sur notre concert à la @philharmonie de #paris avec @fxrroth Un programme dédié à #ravel avec #isabelledruet ! #moussorgsky #kandinsky #raveledition ! pic.twitter.com/GgeDmNC2D0
— Les Siècles (@LesSiecles) 27 novembre 2019
L’effectif reprend la main avec une Barque sur l’océan qui amène rapidement le frisson par les vagues sonores frémissantes. Pleins d’imagination, les pupitres restent rigoureux avec des attaques nettes. Ils se font au contraire impétueux dans une Rhapsodie espagnole très relevée et rythmiquement implacable. Le temps fort du concert reste toutefois les Tableaux d’une exposition édition 2019 avec projection en temps réel de tableaux animés de Vassily Kandinsky. Si celle-ci laisse quelque peu sceptique au premier abord, elle installe rapidement l’œil et l’oreille dans un jeu de correspondances visuelles et sonores particulièrement séduisant. Il faut relever à ce titre les formes kaléidoscopiques pendant le caprice des Tuileries, les rectangles avançant gravement pendant la marche lente de Byblos ou les trois petites sphères jaunes dansant sur des cheveux pendant Le ballet des poussins dans leur coque façon Pac-Man. Un véritable ciné-concert sous la direction toujours appréciée de François-Xavier Roth aux gestes suffisamment clairs pour être performatifs, mais préservant une grande souplesse propice à la suggestion des textures ravéliennes.
En bis, François-Xavier Roth visiblement pris d’enthousiasme s’élance avec Les Siècles dans une Valse à couper le souffle, dont les trois temps résonnent marqués puis déconstruits jusqu’à l’apothéose finale. De quoi remporter l’adhésion d’un public déjà conquis.