Marianne Crebassa, suprême Ariodante de Haendel
Un peu plus de 20 ans après l’enregistrement historique de
l’ouvrage effectué par Marc Minkowski à Poissy avec Anne Sofie von Otter dans le rôle-titre –et déjà le concours de ses Musiciens du Louvre-, puis après la série de représentations données au
Palais Garnier dans la mise en scène de Jorge Lavelli en 2001 avec
une nouvelle fois la cantatrice suédoise, le Directeur de l’Opéra de Bordeaux a choisi de remettre sur l’ouvrage Ariodante.
Il a attendu pour ce faire de disposer de l’artiste capable d’égaler la prestation magnifique d’Anne Sofie von Otter. Marianne Crebassa -avec des moyens vocaux et dramatiques bien entendu fort différents de ceux de sa consœur-, se hausse d’emblée sur la marche la plus haute. Elle campe un jeune prince encore naïf, valeureux certes, mais étranger aux trahisons et aux complots qui régentent la cour du Roi d’Écosse. Le personnage s’affirme peu à peu face aux épreuves douloureuses qu’il subit, comme la pseudo trahison de son aimée Ginevra qui le met à terre. C’est un homme nouveau et glorieux qui surgit au terme de l’opéra, un homme prêt à assumer la succession sur le trône d’Écosse. Les ressources proprement vocales de Marianne Crebassa impressionnent avec ce timbre profond et riche, une émission sonore, posée sur un souffle désormais davantage maîtrisé, une virtuosité marquante. Son interprétation de Scherza infida, morceau phare de l’ouvrage, démontre pleinement toutes ces qualités, même si l’aigu pourrait être quelquefois un peu plus libre et l’interprétation certainement encore plus investie. Le bonheur est incontestablement au rendez-vous et le public ne boude certes pas son plaisir, lui réservant une ovation saisissante !
La qualité émotionnelle est aussi à rechercher directement auprès d’Ana Maria Labin qui en Ginevra lui donne une réplique toute de sensibilité et de musicalité. Au plan vocal, elle pourrait certainement dans ses airs et ses interventions da capo (avec reprise) varier davantage les contrastes, les couleurs. Mais le matériau et la technique apparaissent solides, avec de beaux aigus retenus, comme nimbés. Sa prestation s’accorde en fait totalement avec celle de Marianne Crebassa, dans les duos notamment qui semblent toutes deux les enchanter tant leur complicité sur scène s’avère pleine et entière.
Avec un timbre assez fruité, un suraigu facile et aérien, Caroline Jestaedt donne bien du caractère au rôle de Dalinda sans pour autant évacuer les difficultés de la partition, notamment dans ses parties imprécatoires. James Platt fait résonner dans le rôle du Roi d’Écosse une voix de basse imposante, aux graves percutants et sonores, à la prononciation superbe, même si les parties vocalisées n’appartiennent pas au meilleur de sa technique. En retour, la sensibilité imprègne son interprétation toute entière. Comme James Platt, la virtuosité, voire l’éclat le concernant, échappent quelque peu à la prestation du ténor Valerio Contaldo dans le rôle du frère d’Ariodante, Lurcanio. Et pour autant, son investissement dramatique intéresse à chaque instant, captive même le public par les autres qualités déployées, comme la sincérité vocale et une réelle intensité de la ligne. Le contre-ténor Yuriy Mynenko démontre une technique belcantiste aguerrie, avec notes piquées et une recherche dans les contrastes qui fait réapparaître de façon bien abrupte sa tessiture antérieure de baryton. Mais le charisme qui s’impose pour ce rôle de Polinesso, le traître et le méchant de l’histoire, peine à transparaître pour véritablement convaincre. Dans le bref rôle d’Odoardo, le ténor aigu Paco Garcia se fait heureusement remarquer dans l’attente de le réentendre par ailleurs de façon plus significative.
Les Musiciens du Louvre livrent sous la baguette enthousiaste de Marc Minkowski une interprétation superlative d’Ariodante. L’enchantement se poursuit durant toute la représentation tant la qualité d’ensemble de cette phalange est parvenue dans la musique baroque de Haendel à pleine maturité, ce au niveau de tous les pupitres présents. Tout sonne juste et l’énergie communicative du chef imprègne constamment cette magnifique réalisation. N’ayons garde d’oublier les Chœurs de l’Opéra de Bordeaux en effectif certes restreint, mais remarquables de précision dans toutes leurs interventions.
#Ariodante #Haendel @mdlgrenoble Merci à Marc Minkowski Marianne Crebassa pic.twitter.com/oIJTg3v1vS
— Olivier75 (@Gi75lles) 27 novembre 2019