La Diane française à l’Auditorium du Musée d’Orsay : Orphée aux multiples visages
À
l’occasion des 350 ans de l’Opéra de Paris, le Musée d’Orsay
consacre une exposition à celui qui fit de l’Opéra Garnier sa
seconde demeure et en immortalisa les petits rats : Edgar Degas.
Les visiteurs peuvent y contempler les multiples portraits de
danseuses, une immense maquette de l’Opéra ainsi que les décors
peints qui font resurgir les débuts d’un lieu foisonnant
d’activités, des coulisses à la scène, de la fosse d’orchestre
aux salles de répétition. Degas aimait non seulement le lieu pour
ses lumières artificielles, ses couleurs et ses mouvements, mais
aussi pour sa musique. Élevé par un père mélomane, c’est avant
tout la musique ancienne qui le passionne : celle de Rameau et
de Gluck. Tout en cohérence avec cet événement artistique, la
Diane Française esquisse l’univers musical du peintre au travers
d’un programme tourné vers le mythe d’Orphée, sujet du premier chef-d’œuvre d’opéra dans l’histoire de la musique, mais
aussi et surtout, thème privilégié du peintre dont l’opéra
favori était Orphée et Eurydice de Gluck.
Habitué à passer du répertoire ancien au moderne, l’ensemble aborde le mythe en parcourant presque deux siècles de l’histoire de la musique : de l’époque de Lully et Marin Marais à celle de Léo Delibes et Franz Liszt en passant par Clérambault, Rameau et Gluck, bien sûr. Autant de visages musicaux du poète-musicien à travers les âges, assurés avec précision et justesse par les musiciens. Présenté de manière chronologique, l’enchaînement des airs et passages instrumentaux est marqué par une courte pause lors du remplacement du clavecin par le piano à queue, telle une page historique qui se tourne pour laisser place à Gluck et à l’épure lyrique qui lui correspond.
La soprano Chantal Santon-Jeffery prête sa voix à ces différents répertoires avec une même noblesse et un jeu soigné. Entièrement habitée du personnage d’Orphée, son visage prend un air ravagé, ses sourcils se froncent, mais sa posture demeure droite et parfaitement stable. Épousée avec une douceur appuyée, l’ornementation semble couler comme des pleurs dans l’air d’Orphée de Clérambault. La soprano demeure imperturbable lorsque le bruit soudain d’une perceuse vient s’insinuer en plein milieu de l’air. Toujours claire et nettement dessinée, sa prononciation fait jaillir avec vigueur les paroles des récitatifs. Des aigus saillants aux graves puissants, sa voix à elle seule évoque la descente aux Enfers d’Orphée. Quittant la volubilité baroque pour Gluck et Delibes, elle dévoile un timbre souple et épais pleinement enrobé par le touché rond d’Antoine de Grolée qui l’accompagne au piano.
L’ensemble ne se départ à aucun moment de sa concentration, malgré les bruits de travaux qui viennent parasiter cette pause musicale. Stéphanie-Marie Degand laisse tout de même paraître quelques grimaces face à cet élément imprévu. Avec maîtrise et énergie, cette dernière guide l’ensemble composé de la violoniste Rozarta Luka et du violoncelliste Albéric Boullenois, deux jeunes musiciens qui abordent le programme avec une égale aisance et simplicité. Au clavecin, Violaine Cochard livre des interprétations affirmées, animées de jeux de regards.
Ce voyage orphique se clôt sans bis, dans l’atmosphère subtile et nuancée de l’Orpheus lisztien où les lignes instrumentales se font chant et poème, laissant le public penseur.