Les aventures de Papageno à l’Opéra de Nantes
Papageno dans La Flûte enchantée est un personnage tragi-comique qui rate ce qu'il entreprend, par opposition au héros Pamino. C'est aussi ce qui le rend sympathique et qui motive donc l'idée-fil rouge de ce spectacle offert à un public familial. Dans cette version avec des textes en français signés du Directeur des lieux, Alain Surrans, c'est Papageno le héros de La Flûte enchantée. L'histoire est vue à travers son parcours, la musique commence par son air et finit par son duo d'amour menant au cœur final. Entre les deux, il est le seul à avoir la parole et en français (même lorsqu'il explique qu'un cadenas sur sa bouche le rend muet, il continue de parler). Ayant ce monopole, d'autant qu'il est le seul intelligible pour le public (les autres interprètes chantent, leurs airs d'origine, en allemand non surtitré), Papageno est à la fois acteur racontant son histoire, narrateur omniscient présentant les différents personnages et les événements et pourtant aussi, lorsque nécessaire pour piquer la curiosité du public, il fait semblant de ne pas comprendre les lieux ni les rituels qu'il a décrits précédemment. Le spectacle étant réduit à une heure, durée plus raisonnable pour des enfants, certains personnages ne sont qu'évoqués, certains épisodes ne sont pas expliqués même ceux qui sont ensuite chantés en allemand. Cela permet ainsi de ne pas parler aux enfants du racisme envers le Maure Monostatos (que Papageno dénonce ainsi : "il est vilain ! je vais lui tirer la langue") ou de la tentative de suicide de Papageno (même si ces épisodes sont chantés). Les producteurs de ce spectacle misent donc sur le riche accompagnement pédagogique préalable effectué auprès des 1500 écoliers et collégiens touchés par le projet et sur l'autorité des parents en salle qui, tels les Grands prêtres de ce temple lyrique, doivent maintenir le calme autant que possible en refrénant les agitations des têtes blondes dans les longs passages germanophones.
Marc Scoffoni ne se démonte pourtant nullement et maintient autant que possible l'attention des spectateurs. Il est un narrateur parfois clownesque, mais suscitant surtout l'empathie pour ses souffrances et sa quête d'amour. D'autant qu'il s'implique autant, vocalement, dans la narration en français que dans le chant en allemand, mais avec des moyens très différents : une douce voix fluette mais pleinement audible pour la parole, une assise avec de grands élans lyriques pour les arias. Le lien s'opère grâce à la fluidité d'une prosodie limpide digne des mélodies et des Lieder, avec leurs changements de couleurs fluides et typiques. Papageno trouvera finalement sa Papagena, qu'il considérera comme bien en retard, comme sa chanteuse Héloïse Guinard l'est pour le rythme rapide, mais dont l'aigu reste mignon tandis que son corps de voix ressemble à celui de Pamina.
Celle-ci assied en effet un médium à la largeur de la salle. Norma Nahoun offre tendrement à cette princesse douceur et soutien, conduite du phrasé et de l'émotion, appui et relief des couleurs vocales. La voix douce et fruitée est agile mais projetée dans le théâtre, hormis lorsqu'elle presse dans les vocalises.
Yu Shao interprète alternativement les deux rôles de ténor : Tamino et Monostatos sans trop changer sa voix mais en revêtant pour le méchant un manteau noir. La ligne de chant monte petit à petit vers un volume mesuré, hormis les impacts des accents et un aigu claironné (un peu serré avant que de fatiguer).
Papageno a beau annoncer que les vocalises de La Reine de la nuit vont lui faire "mal aux oreilles", Marie-Bénédicte Souquet aborde crânement ces parties virtuoses et même à toute vitesse. La colorature allège et amenuise ses aigus (les raccourcissant parfois) mais en conservant leur caractère dramatique, aussi porté par un grave nourri.
Parmi les trois Dames vêtues en robes bleu nuit, Marie Lombard sort du trio par ses courtes phrases avec des accents saillants projetés en dehors, Pauline Sikirdji assure l'ampleur du corps vocal tout en déployant son agilité, enfin Sophie Belloir en compose l'assise sonore et timbrée.
Les trois enfants du livret sont ici confiés à trois jeunes filles solistes des maîtrises de la Perverie (Nantes) et des Pays de la Loire (Angers), habillées en gavroches. Elles gardent la douceur vocale d'un son bien juste avec beaucoup de souffle (nourrissant les lignes et les détimbrant).
Sylvain Blassel dirige la transcription musicale effectuée par Florian Sénia et Tommy Bourgeois pour 11 musiciens (placés sur scène). Chaque instrument exprime certes sa justesse personnelle mais aussi la particularité de son timbre, au point qu'ils deviennent chacun un personnage (comme dans Pierre et le loup). Les instruments n'ayant pas de paroles et parlant donc la langue universelle des sons musicaux, ce sont eux qui fascinent le plus les enfants, en particulier la flûtiste qui participe même à la scénographie en se déplaçant et charmant les personnages. Le glockenspiel (le carillon magique de Papageno) éveille également l'intérêt, mais aussi le percussionniste à la gestique théâtrale, au service du son, même pianissimo. Sans oublier le quintette à cordes très en place et animé, soutenu et renforcé par cor et basson.
Si Mozart avait justement souhaité composer ce Singspiel en allemand pour être compris de tous ces compatriotes, en un temps où l'opéra se pensait en italien, les jeunes spectateurs après avoir pépié durant les parties en allemand, acclament néanmoins leur maître oiseleur et toute la volée d'interprètes.