Les Noces au TCE : classic is the new hype !
Alors que son film futuriste, Ad Astra, vient de sortir sur les écrans, le réalisateur hollywoodien James Gray fait preuve d’audace et d’esprit d’innovation pour ses débuts comme metteur en scène d’opéra. Il frappe un grand coup en proposant un spectacle comme on en voit peu (même si Paris connaît la production de Giorgio Strehler) : une mise en scène totalement classique, respectant au mot près les didascalies. Les riches costumes de Christian Lacroix et les décors de Santo Loquasto, formant un logis en voie de décrépitude, participent de cette image d’Epinal. Proposer une mise en scène littérale n’équivaut cependant pas à un manque d’inspiration ou d’ambition : l’attention est mise ici sur le travail de direction d’acteurs, auquel James Gray apporte les nuances issues des techniques de l’Actor studio, y compris dans le jeu muet, et qui confère à l’œuvre un rythme soutenu de bout en bout.
Le metteur en scène dispose pour cela d’une distribution de haute tenue vocale, mais surtout de grande qualité théâtrale. Stéphane Degout retrouve le Comte qu’il a déjà souvent servi. Il expose l’écorce d’un timbre joliment couvert, une ligne solide tout juste traversée du roulis d’un vibrato régulier, une incarnation captivante mettant en avant l’humanité d’un Comte loin d’être caricatural. Tout juste les vocalises concluant son air manquent-elles de souplesse. En Comtesse, Vannina Santoni montre deux visages : comme si le théâtre nourrissait son chant, c’est d’une voix presque blanche au legato absent qu’elle interprète son premier air et la moitié du second, pris à des tempi très lents dans un statisme languissant. C’est au contraire dans un jeu frémissant, d’une voix épanouie qu’elle s’élève lorsque la mise en scène lui donne de la matière. Le medium s’épaissit et se colore alors, tandis que le léger filet de ses aigus trouve une pureté cristalline qui lui assure une belle ovation.
Anna Aglatova, qui remplace Sabine Devieilhe en Suzanna, est certes parfois couverte par l’orchestre, mais elle se montre piquante et vive dans son interprétation au timbre fruité. Le velouté de sa voix s’exprime davantage dans son air du dernier acte, lorsque son assise s’épaissit. Robert Gleadow est un Figaro bondissant, dansant, rampant : son investissement scénique, sa présence théâtrale, l’humour de son interprétation collent au personnage. Sa voix, qui peut être brillante dans de profonds graves et qu’il sait adoucir dans les ensembles, se laisse parfois déborder par une largeur mal maîtrisée, un vibrato qui s’emballe et accidente à la fois sa ligne vocale et sa justesse. Éléonore Pancrazi est à son aise en Cherubino maladroit et mutin, gardant vocalement une ligne fine malgré un timbre rond à l’épais taffetas. Le chant est nuancé et expressif, mais la ligne vocale pourrait gagner en homogénéité.
En Bartolo, Carlo Lepore propose un chant vigoureux, expressif et sonore, une voix structurée et un débit rapide mais précis. En Marcelina, Jennifer Larmore joue avec sincérité et chante d’une voix au timbre moiré et aux graves de braise. Mathias Vidal (ici en interview) se paie le luxe d’obtenir des vivats dans le rôle de Basilio qui ne dispose ici d’aucun air. Il prend un plaisir manifeste à son interprétation bouffonne et théâtrale d’homme lâche, mesquin et sournois, qui l’amène à altérer sa voix, y compris dans les parties chantées. Sa voix puissante et lyrique transparaît pourtant dans certains passages moins exposés. Florie Valiquette tient une Barbarina juvénile : le velouté de son timbre reflète la fraîcheur du personnage, tandis qu’un léger vibrato figure son angoisse. Matthieu Lécroart campe un Antonio à la belle voix de baryton tandis que Rodolphe Briand se montre en place en Curzio.
Jérémie Rhorer dirige d’une gestique sèche son Cercle de l’Harmonie (qui porte bien son nom en ce soir de première) à un tempo volontiers allant, dessinant des reliefs dans la partition de Mozart par ses nuances, ses accents et la fluidité des fines lignes des violons. Le Chœur Unikanti se montre bien en place, bien plus homogène que les costumes bigarrés dont ses artistes se parent.
Le public réserve une ovation (qui couvre rapidement quelques timides sifflets) à l’ensemble des protagonistes, qui sont rappelés plusieurs fois à l’avant-scène. Trépidante et drôle, cette production (déjà complète sur toutes les dates) apporte la preuve que les talents conjugués de Beaumarchais, da Ponte et Mozart se suffisent à eux-mêmes : et si les partis-pris classiques redevenaient tendance ?