À l’Opéra-Théâtre de Limoges, Madame Favart taillée sur mesure
En juin dernier, la création de cette production à l’Opéra Comique avait constitué un petit événement : jamais cette œuvre
n’y avait été donnée (elle fut créée en 1878 au
Folies-Dramatiques), quand bien même sa grande salle porte le nom
d’un fameux homme de théâtre du XVIIIe siècle, un certain
Charles-Simon... Favart. Un juste retour des choses, donc, en même
temps qu’une occasion savoureuse de redécouvrir l’un des
derniers ouvrages composés (en 1878) par Jacques Offenbach. Un
ouvrage qui fonctionne comme une véritable compilation d‘airs tout
aussi réjouissants les uns que les autres, et qui donne à voir la
fuite du couple Favart face aux convoitises galantes et pas toujours
adroites du Maréchal de Saxe (largement inspirées de faits réels).
Un décor made in Limoges aux finitions soignées
Événement à l’Opéra Comique de Paris, donc, cette Madame Favart l’est aussi à Limoges. En effet, la maison lyrique limougeaude voit ses effectifs musicaux être largement mis en lumière au travers de cette production : déjà à l’oeuvre lors de la création parisienne du début d’été, le Chœur de l’Opéra de Limoges sera de nouveau mobilisé pour deux représentations au Théâtre de Caen à la fin décembre, au même titre que l’Orchestre de l’Opéra de Limoges. Surtout, les décors de cette production ont été entièrement réalisés dans la capitale limousine.
Comme voulu par la mise en scène de la comédienne Anne Kessler (sociétaire de la Comédie Française), ces décors figurent en effet les ateliers de couture… de l’Opéra Comique. Sur une scène délimitée par une structure boisée haute de trois étages, trônent ainsi des dizaines de bustes de couture et autant de machines à coudre et tables de travail, un grand établi se trouvant lui en milieu de scène. C’est là, dans ce cadre unique, que s’inscrit l’intrigue nouée au fil des trois actes. Tour à tour, l’atelier de couture fait donc office d’auberge, de salon de réception et de campement militaire. Une “facilité” technique loin d’être de mauvais effet, tant les décors présentent des finitions soignées, et tant les jeux de lumière et les mouvements des choristes et solistes contribuent sans cesse à faire vivre l’espace, et à donner vie aux nombreuses situations farfelues que compte cet opéra vaudevillesque : ici un militaire repassant sa chemise en caleçon, là une Comtesse arrivant dans une soirée avec une grossière fourrure et un chien (fictif, mais vif malgré tout) en bout de laisse, et au milieu de tout cela un Maréchal sans cesse tourné en ridicule. D’un fou rire à un autre, d’un grand air à un autre, l’ennui n’est donc pas de mise dans ce spectacle, où l’œil se ravit aussi à la vue de costumes à l’esthétique non moins soignée (mais l’inverse eut été étonnant dans un atelier de couture...).
Rayonnante Anne-Catherine Gillet
Vocalement, cette production donne à entendre quelques-uns des chanteurs qui composent La Nouvelle Troupe Favart de l’Opéra Comique. En Madame Favart cumulant plusieurs rôles (épouse, actrice, soubrette, Comtesse et marchande tyrolienne), Marion Lebègue est pleinement convaincue, avec une débauche d’énergie incessante dans l’incarnation de ses multiples fonctions, et une voix de mezzo généreuse, bien projetée (même si les consonnes sont souvent trop peu appuyées). En Suzanne, Anne-Catherine Gillet est absolument rayonnante. La soprano belge ravit par son timbre de voix si spécifique, empreint d’un sens constant de la musicalité, toujours agréablement vibrant et projeté avec une égale sensibilité sur la largeur de la tessiture. L’artiste démontre aussi qu’elle est une comédienne, et même une gymnaste allant jusqu’à se prêter à l’exercice du grand écart pour mieux susciter surprise et hilarité.
Le rôle de Charles-Simon Favart est confié à Christian Helmer. Puissamment projetée, sa voix est celle d’un baryton (presque d’une basse) aux chaudes intonations, aux graves charnus et profonds, avec une réelle application dans la diction. Porté sans doute par l’héritage historique à assumer, ce Favart-là est aussi un généreux comédien, qui parvient autant à faire rire qu’à attendrir. Investi dans la tenue de son rôle, François Rougier l’est également. Le ténor français campe Hector de Boispreau avec une ligne de chant globalement homogène, même si les aigus (éclatants dans l’air des Tyroliens) sortent davantage du lot.
Éric Huchet est un impayable Marquis, qui s’illustre tant par son incarnation d’une noblesse grotesque que dans le juste emploi d’une voix expressive et agréablement projetée, nantie d’un soin précieux porté au phrasé (tant dans le chanté que dans le parlé). Le ténor français partage un certain goût de la truculence avec Lionel Peintre, Biscotin aux mimiques irrésistibles et au joli timbre de baryton. Beau baryton aussi, et jeu de comédien travaillé, que ceux de Franck Leguérinel sous les habits du Major Cotignac. Enfin, avec sa voix incisive de ténor léger, Raphaël Brémard joue un Sergent Larose qui se distingue surtout par une gestuelle panto-mimique qui fait mouche.
Formé de choristes pleinement engagés dans leurs rôles respectifs, et porté haut par la puissante fusion de l’ensemble de ses voix, le Chœur de l’Opéra de Limoges est particulièrement sollicité dans l’œuvre. À force d’entrain incessant, il en vient même, par moments, à dicter le tempo à un Orchestre de l’Opéra de Limoges savamment dirigé par Laurent Campellone, qui parvient à restituer l’élan et l’esprit festif inhérents à cette œuvre dont le public témoigne et se dit, au baisser de rideau et pendant la juste ovation, qu’elle gagnerait à être davantage donnée.