Madame Butterfly poétique en direct du Metropolitan Opera
Dans
l’unique production d’opéra du regretté Anthony Minghella
(réalisateur du Patient
Anglais
notamment), créée en 2005 au Royal Opera House et reprise de
nombreuses fois depuis lors au Met, tout est question de lumière et
de suggestion. De grandes plages colorées sont projetées sur un
grand cyclorama en fond de scène et reflétées par un effet miroir,
desquels proviennent les personnages, d’abord perçus en ombre
chinoise avant de parvenir dans la lumière qui nimbe la scène d’une
ambiance tantôt bleue, tantôt rouge. Le
tout rythme
l’attente douloureuse de Cio-Cio San.
Rythmée, la composition de l’espace l’est aussi grâce à la manipulation de panneaux shoji par des danseurs voilés de noir, ce qui recentre l’action à l’avant-scène pour créer un cadre plus intimiste ou au contraire dégage l’espace de tout élément superflu. Ces mêmes danseurs manipulent poétiquement des lanternes éclairées ou des volatiles de papier, façonnés en origami à l’acte III, tandis que la fosse distille des sons de sifflets d’oiseaux. L’autre idée stimulant l’imagination du spectateur est celle de remplacer l’enfant par une marionnette (manipulée par trois marionnettistes), qui prend vie habilement et se révèle devenir un vrai personnage aux côtés de Butterfly et Suzuki. La direction d’acteur, sobre et juste, repose sur les qualités expressives propres à chaque chanteur tout en étant en grande adéquation avec l’épure scénique proposée.
La direction musicale est également en accord avec ce que le plateau donne à voir. Délicat et attentif, Pier Giorgio Morandi développe et prolonge chaque ligne en vagues successives en faisant progresser le drame avec subtilité. Les chœurs du Met se distinguent autant par les couleurs chatoyantes de leurs costumes que par l’expressivité de leur chant.
Du côté des solistes, Raymond Aceto est un Bonze remarqué à la voix caverneuse qui s’impose dans son unique intervention avec fermeté, de même que Jeongcheol Cha en Prince Yamadori, tandis que Megan Esther Grey endosse le court rôle de Kate Pinkerton avec affectation.
Tony Stevenson campe
un
Goro inquiétant et cynique à souhait, au timbre acide et piquant
qui sied tout à fait au personnage. La présence plus chaleureuse de
Paulo Szot rend le personnage de Sharpless attachant, d’autant que
la voix est confiante et le timbre élégant. Son incarnation est
tout en nuances de pitié pendant tout le deuxième acte. La
prestation d’Elizabeth DeShong en Suzuki assure
un soutien indéfectible à Cio-Cio San d’une voix moirée et
équilibrée, puisant dans les graves des accents dramatiques sans en
éprouver de difficultés.
Remplaçant du ténor Andrea Carè pour la soirée, Bruce Sledge assure sa partie avec un grand professionnalisme, d’autant que cette prise de rôle surprise est filmé en direct. Le stress visible du chanteur est de ce fait tout à fait compréhensible et, s'il ne quitte pas des yeux le chef ou les deux écrans latéraux permettant de suivre sa battue tout au long de la soirée, il parvient cependant à émouvoir vocalement. La voix est sonore et assurée, dotée d’un timbre clair qui reste rond même dans l’aigu. Son « Addio, fiorito asil » au troisième acte est touchant de sensibilité et donne envie de l’entendre dans des circonstances plus sereines.
Quant à l’interprétation du rôle titre elle est confiée à la soprano chinoise Hui He. Très à l’aise vocalement, elle développe son jeu de la minauderie du premier acte jusqu’à l’acmé du drame avec naturel. Le timbre est nourri et l’aigu ample, même si le médium varie parfois en justesse. C’est au troisième acte que la chanteuse s’empare entièrement du drame de son personnage, vers une scène finale empreinte d’une intention dramatique pleine et assumée aux derniers accents « Va, gioca, gioca » bouleversants.