Goerne, Honeck, Pittsburgh : musicalité superlative à la Philharmonie de Paris
Les œuvres du programme dévoilent des trésors d’écriture orchestrale, de l’intimité des pièces de Schubert à l'exubérance de la symphonie de Chostakovitch, trésors révélés magistralement par Manfred Honeck à la tête du Pittsburgh Symphony Orchestra. La musique se découvre dans une riche palette de nuances. Les explosions sonores emplissent généreusement la salle et les pianissimi que le chef obtient de toute la masse orchestrale (plus de cent instrumentistes) sont saisissants, la musique devenant le murmure d’un murmure, captivant intimement l’auditoire.
Cette capacité à réaliser des nuances extrêmes trouve un écho avec l’interprétation aux mille couleurs de Matthias Goerne, référence en ce qui concerne les Lieder de Schubert. Le timbre profond du chanteur corrobore l’intériorité de Pilgerweise (chant du pèlerin) sur le thème éternel du voyage, colore l’extatique Im Abendrot (Au crépuscule) dans une grande douceur qu’épousent également les bois de l’orchestre et, dans Tränenregen (Pluie de larmes, extrait de La Belle meunière), oscille entre ombre et lumière, entre mineur et majeur, le mineur finissant par l’emporter, achevant le Lied sur un adieu et une conclusion orchestrale touchante d’intériorité. L’art de Matthias Goerne se dévoile progressivement et culmine avec Ruhe, meine Seele (Repose, mon âme!) et Morgen (Demain!) que Strauss offrit à Pauline de Ahna en cadeau de mariage et qu’il orchestra lui-même. Dans une résonance contenue, le baryton émet le motif clé de Ruhe meine Seele, allant chercher physiquement l’enracinement des phrases, les développant jusqu’au point culminant sur « Not » (détresse) qu’il adresse au public dans un engagement projeté, le torse levé et le regard vers le balcon. Il conclut « Was dich bedroht! » (ce qui te menace) dans l’extrême grave aux résonances caverneuses. S’aidant de mouvements corporels souples, il dialogue subtilement avec le violon solo dans Morgen, étirant et suspendant voluptueusement le phrasé. Le public conquis peine à contenir ses applaudissements entre les Lieder malgré les indications du baryton, qui semble cependant heureux de ces épanchements.
Le Pittsburgh Symphony Orchestra poursuit sa politique de promotion de nouvelles œuvres américaines en interprétant Resurrexit de Mason Bates, commandé à l’occasion du 60ème anniversaire de Manfred Honeck. Cette résurrection dans la forme purement symphonique présente la grande richesse de sonorités de la phalange. Elle évoque le Moyen Âge à travers la séquence grégorienne Victimae Paschali Laudes jouée par des cuivres tantôt suaves tantôt victorieux, tandis que les bois égrènent des gammes orientales et ornent leurs sonorités de quarts de ton sur un tapis moelleux de cordes. Cependant, c’est avec la 5ème Symphonie de Chostakovitch que l’orchestre apparaît dans toute sa puissance sous la direction précise de Manfred Honeck. Dans le premier mouvement l’homogénéité du pupitre des cordes semble inaltérable dans un son commun, avec des attaques synchronisées à la perfection et une volonté d’effectuer des nuances d’une douceur rarement entendue. Les bois émergent tels des chanteurs dans un phrasé inventif, renversants de souplesse. La flûtiste et la hautboïste sont acclamées en fin de concert. Le premier violon se distingue dans l’allegretto avec un son rapidement vibré et un phrasé mouvant très touchant. La vigueur du galop final émerge grâce à un détaché collectif extrêmement précis, achevant le programme dans une jubilation sonore contagieuse, le public ovationnant la performance.
Cette joie du partage se poursuit avec deux bis offerts généreusement : Au matin, extrait de la suite Peer Gynt de Grieg et la Danse des chevaliers, extrait de Roméo et Juliette de Prokofiev.
Incroyable! On Tuesday we made our debut at the Philharmonie de Paris with @ManfredHoneck, Matthias Goerne, and the @PSOMusicians! The program included Shostakovich, Strauss/Schubert, and the European Premiere of Resurrexit by @masonbates #psoTour Julie Goetz pic.twitter.com/aNo5aKApAJ
— Pittsburgh Symphony (@pghsymphony) 7 novembre 2019