Couronnement de Coronis au Théâtre de Caen
Par cette coproduction avec l’Opéra Comique (où l’opus passera en 2021), Rouen, Lille et Limoges (qui le verront dès cette saison), le Théâtre de Caen met sur le devant de la scène une zarzuela (genre typiquement espagnol) baroque, Coronis de Sebastián Durón. Musicalement, l’opus s’inscrit clairement dans la filiation italienne, comme une bouture croisant Monteverdi (certains passages semblent prolonger le duo final de Poppée et Néron dans Le Couronnement de Poppée) et Cavalli (avec ses ruptures stylistiques et ses mélanges dramatico-comiques). Seules quelques pages instrumentales, entraînées par le violon solo, la guitare et les castagnettes, offrent des sonorités plus typiquement hispanisantes. Étant donnée la proximité des langues (et donc des phrases musicales), de la technique vocale employée (par cette équipe majoritairement française en tout cas) jusqu’au livret (retraçant avec fantaisie les joutes amoureuses des dieux romains pour conquérir la belle nymphe Coronis) la confusion pourrait être totale s’il n’était quelques jota très raclés pour rappeler au spectateur les origines de l’œuvre. L’œuvre étant (presque) entièrement chantée (la présence de dialogues parlés étant pourtant une caractéristique habituelle des zarzuelas), elle se distingue finalement principalement par un plateau vocal presqu’exclusivement composé de femmes, les hommes étant à l’époque cantonnés à des rôles parlés (et donc non formés au chant).
La mise en scène d’Omar Porras reprend les codes du théâtre de tréteaux avec ses coulisses à vue, tout en l’habillant d’un imposant décor de caverne. Symboles de l’univers marin, des voiles structurent l’espace scénique permettant de nombreux jeux d’ombres, de transparence, de projection, de texture. Le comique du livret se révèle principalement par les costumes (imaginés par Bruno Fatalot) et les chorégraphies, acrobaties et contorsions (qui offrent quelques moments de grâce). Si certains personnages très caractérisés apportent du jeu, la mise en scène tend à souligner les faiblesses du livret en optant pour un statisme ou une répétition des effets scéniques (notamment pyrotechniques) lorsque des longueurs affectent la partition.
Dans le rôle-titre, Ana Quintans peine à projeter ses médiums au début de l’ouvrage, créant de continuelles ruptures de phrasé avec ses aigus pleins. Heureusement, la voix gagne en agilité et s’épanouit progressivement en même temps que son visage qui gagne en expressivité. Son port de voix offre finalement de fins contrastes, passant avec dextérité d’une voix droite à un vibrato vif, d’une émission tubée à une projection plus large. Isabelle Druet (Triton) couvre fortement sa voix de mezzo, lui conférant parfois les sonorités râpeuses d’un contre-ténor. Le vibrato est vigoureux, la voix ferme, la prononciation soignée.
Caroline Meng fait preuve de dynamisme en Neptune, s’appuyant en cela sur une voix épaisse et riche en timbre. Si ses vocalises pourraient être plus fluides, son duo avec l’Apollon de Marielou Jacquard est d’une grande précision, leurs deux voix se mariant à merveille. Cette dernière, jambes arquées, affirme une présence comique qui se retrouve dans la théâtralité de son phrasé et la brillance de sa voix, dont la projection est un peu fine cependant. Emiliano Gonzalez Toro en Protée offre un ténor barytonant et corsé, bien assis, mais au volume limité alors même que son activité théâtrale est foisonnante. Sa technique baroque est sûre et lui permet d’habiller son monologue d’une grande diversité d’ornementations.
Anthea Pichanick campe un Ménandre bègue et bougon d’une voix voluptueuse qu’elle aigrit parfois afin de renforcer le caractère comique du personnage. Elle forme un binôme réjouissant avec Victoire Bunel, qui s’affirme en Sirène d’une voix aux belles harmoniques et à la projection très droite. Brenda Poupard (Iris) descend de son arc-en-ciel à la fin de l’ouvrage, son costume de bonbon rose s’appareillant à sa voix acidulée. Enfin, Olivier Fichet, ténor de type « Nourrice », figure obligée du baroque italien, offre un caractère qu’il sait affermir dans les ensembles.
Vincent Dumestre et son Poème Harmonique (aux pupitres de bois très sollicités) apportent à l’ouvrage tout leur savoir faire acquis dans le répertoire baroque, variant les couleurs au gré des passages de registres, de la mélancolie aux scènes de bataille, de la traditionnelle scène de tempête aux pages de comédie typiques.
Le public offre quant à lui une écoute de grande qualité, réservant son premier applaudissement pour le tombé de rideau. La salle pleine (toutes les places ont été vendues six semaines avant la première) accueille alors avec enthousiasme l’ensemble du plateau vocal, le chef et le metteur en scène.